Échanges
Christophe Charly
On tourne toujours autour de la question de l’évaluation sans la nommer !
Celeborn
Alors nommons-la. On les évalue comment, les compétences d'attitudes ?
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Celeborn
Parvenir à regrouper sous le même titre des choses aussi diverses que « connaître l'environnement économique », « savoir respecter des consignes », « savoir nager » et « avoir conscience de l'influence des autres sur ses valeurs et ses choix » m'apparaît une imposture intellectuelle.
Christophe Charly
Parce qu’il n’y a pas d’imposture intellectuelle à regrouper dans une même évaluation la maîtrise des accords et l’appréciation de la capacité d’émettre des hypothèses ? Le tout « validée » par une note unique ?
Celeborn
Je ne sais pas comment vous comptez valider la « capacité d'émettre des hypothèses », cela me fascine (au fait, les hypothèses doivent-elles être justes pour valider la chose ? Si elle est validée en maths, c'est bon, on la considèrera validée partout ?). Mais rassurez-vous, lors des devoirs plus construits que nous proposons aux élèves, nous mettons des appréciations et faisons une correction pour leur montrer ce qu'ils ont réussi et ce qu'ils n'ont pas réussi. Généralement, il y a plusieurs questions dans un devoir...
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Celeborn
[Les compétences de « capacités »] vont de choses tout à fait scolaires et évaluables (« résumer un texte », « déterminer rapidement un ordre de grandeur ») à d'autres choses nettement plus ésotériques telles que « prendre en compte le propos d'autrui »...
Christophe Charly
Ne le faites vous pas actuellement lorsque vous demandez à vos élèves une production écrite ?
Celeborn
Je ne demande pas des « productions », mais des « rédactions » . Bien sûr, qu'ils « prennent en compte le propos d'autrui », toujours, tout le temps (du moins ils essayent), quand ils demandent une précision à l'oral, quand je les menace, quand je les complimente, quand je leur dis de sortir leurs affaires, quand je leur dis « entrez. », quand je leur demande d'aller chercher un billet de retard, quand je leur pose une question... Vous trouvez ça validable, vous ? En rédaction, ne pas prendre en compte le propos d'autrui, ça s'appelle « hors-sujet », et c'est pris en compte, je vous assure, dans la note ! Mais vous comprenez bien quand même que sous cette innocente formulation de la compétence se cache une infinité de situations très différentes les unes des autres, une infinité de degrés d'appréciation. Et je devrais juste mettre une croix pour valider ça ? Quelle blague !
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Celeborn
[Les compétences d'« attitude » sont] au pire une demande de se conformer à un certain type de personnalité jugé « meilleur » avec des choses telles que [...] « l’intérêt pour les progrès scientifiques et techniques » (si tu t'y intéresses pas, t'es pas un vrai citoyen !)...
Christophe Charly
Et à l’inverse ?
Celeborn
J'estime que rien ne m'autorise à prendre parti. L'intérêt de l'élève relève de son libre-arbitre et de son fonctionnement psychique personnel. Je cherche à l'intéresser à ma matière, bien entendu, mais rien ne l'OBLIGE à l'être, ou à l'être SYSTÉMATIQUEMENT. C'est son problème, pour le coup. Tant qu'il apprend sérieusement, et qu'il fait ce que je lui demande, ça me va. Mais un être à le droit absolu de ne pas s'intéresser au progrès scientifique et technique. Il n'en est pas moins digne pour autant. Valider l' « intérêt de l'élève » pour telle ou telle chose me paraît être une perversion de l'enseignement, pour ne pas dire un formatage nauséabond.
Synthèses
Christophe Charly
Je considère l’évaluation, telle qu’elle est pratiquée très majoritairement actuellement, particulièrement inique et inadaptée car ne rend pas compte des apprentissages réalisés par les élèves !
On utilise la note. Que représente-t-elle par rapport à une progression ? Rien. Les notions abordées d’une évaluation à l’autre sont différentes ! Peut-on alors parler de progrès, de régression ? Pourtant c’est ce qu’on entend à chaque conseil de classe… Que dire également de la « moyenne générale » ?!!!
Que représente la note par rapport à une « performance » ? Pas grand-chose. Des travaux ont montré les écarts conséquents pour la notation d’une même copie. Toutes les disciplines, à des degrés divers, sont concernées.
Certes, sur les bulletins et sur les copies, ces notes sont accompagnées de commentaires, d’appréciations. Il y quelques années, une circulaire demandait que ceux-ci donnent des pistes de progression. Dans combien d’établissements est-ce encore le cas actuellement ? Ils ne reprennent pas non plus la totalité des questions abordées pendant la période.
Enfin, qu’en est-il en termes de suivi ? Avec les notes, aucune possibilité. Il n’y pas de traces des points forts comme des points faibles de chaque élève.
Il est possible de critiquer l’évaluation par compétence. On peut discuter leur formulation, leur étalement dans l’ensemble du curriculum, toutefois par ce biais il est possible de discuter d’une progression. En formalisant cela dans un document unique, certes conséquent, il est possible pour l’ensemble des parties prenantes – élèves, familles, équipes pédagogiques – de suivre la progression. Il devient le support des échanges sur la poursuite du parcours.
Cela n’est possible que lorsque les objectifs de chaque niveau sont définis, que les enseignants sont sensibles à ces questions, ainsi que les familles, et que les évaluations sont construites en conséquence.
Celeborn
En ce qui concerne l'enseignement pas compétences, là, je crois que nous arrivons à une divergence irréductible, et que je pressentais comme telle dès le départ. Pour faire vite (et bien, si possible) : je trouve que l'évaluation par notes est le moins inique des systèmes. Les compétences me paraissent nettement plus vagues et ne parviennent paradoxalement pas à donner une image d'ensemble (j'allais dire une « valeur », ha ha !) d'un élève. J'en veux pour preuve les grilles de primaire, qui sont des aberrations pour tout enseignant de 6e normalement constitué qui les regarde et essaye (le pauvre) d'en tirer quelque chose.
Le saucissonnage du savoir en compétences (dont certaines seraient, magie magie, transversales) est une imposture intellectuelle à mon sens grave. Je ne nie pas les études de docimologie (je tiens seulement à en réduire la portée et à y réfléchir à deux fois avant de tirer des conclusions définitives) ; je nie en revanche que le système d'évaluation par compétences change quoi que ce soit à ces études. Au lieu d'un panel de 0 à 20, on a un curseur avec seulement deux positions. Suivant le degré d'exigence de l'enseignant, je vous certifie que le curseur peut être mis pour la plupart des élèves sur l'une ou l'autre des positions sans aucun problème.
Pour synthétiser en peu de mots ce qui nous oppose, quand vous écriviez dans votre message de synthèse : « Cette poursuite de scolarité étant basée sur la possibilité de mobiliser des
connaissances plus que sur la maîtrise de celles-ci », je ne vous rejoins pas. On ne peut mobiliser que ce que l'on maîtrise.