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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 14:48

le monde a lenvers

 

  Pour des raisons hautement syndicales, j'ai le regret de vous annoncer que je ne reverrai plus la Sixième de l'Angoise d'ici la fin de l'année. Oui, je sais, mon blog va beaucoup en pâtir, dépités lecteurs, déprimées lectrices.

 

  Néanmoins, j'avais conservé quelques munitions dans ma manche1, et je vous propose, afin d'atténuer votre déception, deux délicieuses anecdotes transmises il y a quelques temps par mon éblouissante collègue d'Histoire-Géographie.

 

  Tout d'abord, sachez que pour plusieurs d'entre eux, une montagne (une montagne jeune, en l'occurence), ça se trouve... sous la terre. En effet, quand il leur fut demandé en contrôle de représenter schématiquement une montagne jeune (i.e. dessiner un triangle bien pointu représentant la montagne posé sur un trait représenant la surface de la terre), certains d'entre eux n'ont pas hésité à dessiner le triangle sous le trait, bouleversant ainsi les conceptions géographiques les mieux établies et renvoyant la pomme de Newton au rang d'aimable joujou pour esprit puéril. Avec les Sixièmes de l'angoisse, la géographie, ça devient tout de suite une révolution. 

 

  Ensuite, laissez-moi vous parler de Mascarille, élève de la Quatrième du farniente, malencontreusement condamné à une heure de retenue bien méritée dans la salle de ma collègue2. Il se trouva assis à côté de Cléonte, specimen particulièrement angoissant même pour la Sixième de l'angoisse. Au moment où il fallut ouvrir son livre à la page 123, Mascarille ne put que constater la catastrophe ambiante. Regardant ma collègue d'un regard où se mêlaient incrédulité et pointe de frayeur, il lui tint à peu près ce langage :

 

MASCARILLE : Hé ! bonjour, Monsieur du Madame... je crois qu'il tourne les pages à l'envers...

COLLÈGUE : Mais bien sûr, Mascarille ! Tu es dans la Sixième de l'angoisse... Tu t'attendais à quoi ?

 

  Et Mascarille d'aider Cléonte à trouver le sens dans lequel tourner les pages pour parvenir enfin à la page 123 tant convoitée. 

 

  Bref, rassurez-vous : vous serez tenus au courant de la fin de l'année de la Sixième de l'angoisse ! 

 

 

 


1. Je ne suis pas certain que ma métaphore soit très bonne, là, mais bon, on fera avec...

 

2. Vous ai-je dit à quel point elle était merveilleuse ? 

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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 23:14

philojoyeuse-copie-1.gif 

 

  Or donc hier soir, c'était le conseil de classe du 2e trimestre de la Sixième de l'Angoisse. Mais si, souvenez-vous, cette classe à 7,9 de moyenne en français au premier trimestre, dont on pensait qu'elle descendrait difficilement plus bas, et qui a atteint… 7,11 ce trimestre, eh oui. 

 

  C'est devant un parterre de professeurs désabusés et de représentants des parents rapidement stupéfaits que l'exquis professeur principal (qui est une femme, mais je zute la féminisation des titres, na !) exposa son bilan. Aucun plaisir à les retrouver, on en vient à regarder l'horloge en se demandant quand est-ce que ça va bien finir, on est impuissant à les aider, ils n'avaient même pas compris ce qu'était un conseil de classe, etc. À noter que, Sixième de l'Angoisse oblige, nous avons 3 délégués au lieu de 2 au conseil, l'un d'entre eux ayant dit qu'il ne pouvait pas venir avant de… finalement venir. Il nous avait déjà fait le coup au trimestre précédent, ambiance… 

  Ma collègue de maths s'étant arraché les cheveux et ma collègue de techno s'étant demandé à voix haute s'ils comprenaient tous vraiment les consignes, je lui certifie donc que non, ils ne les comprennent pas tous. Rien qu'avant-hier, j'ai dû expliquer 5 fois que dans tel exercice, il fallait conjuguer le verbe au présent de l'indicatif… avant de voir un élève ne rien écrire sur sa feuille car il lisait péniblement la consigne et ne la comprenait pas. La Sixième de l'Angoisse est la seule classe où, lorsque vous faites passer 9 feuilles dans une rangée de 9 élèves, certains élèves se retrouvent systématiquement avec deux feuilles et d'autres sans aucune feuille. La Sixième de l'Angoisse est la seule classe où un élève ne fait rien depuis une semaine au motif que son classeur est cassé et qu'il ne peut l'ouvrir pour en sortir son cours. Classeur que j'avais déjà réparé en début d'année d'ailleurs, car pour faire cours à la Sixième de l'Angoisse, être Mac Gyver ou l'Inspecteur Gadget semble bien plus utile que d'être certifié de lettres modernes. La Sixième de l'Angoisse est la seule classe où, après un chapitre sur la poésie, un contrôle sur le chapitre sur la poésie, une correction du contrôle sur le chapitre sur la poésie et un chapitre sur la fable, près d'un quart des élèves est encore incapable de numéroter 22 vers de 5 en 5, l'un commençant à 0, l'autre ne s'arrêtant pas avant 35.  La Sixième de l'Angoisse est la seule classe où, quand on fait un cours sur le passé simple et qu'on lance des exercices de conjugaison juste après, alors que la leçon est toujours sous leur nez, un élève est incapable de conjuguer correctement le verbe être alors qu'il est intégralement écrit dans la leçon, trois élèves emploient les terminaisons de l'imparfait aux trois personnes du singulier alors que les terminaisons sont intégralement écrites dans la leçon, et trop d'élèves conjuguent les verbes du 2e groupe comme ceux du premier groupe — y compris le verbe servant d'exemple dans la leçon —, tout en pensant pour certains que ces verbes sont du… 3e groupe ! C'est à défoncer le mur à grands coups de boîte crânienne. 

 

  Revenons à la sauterie d'hier soir. Après donc un tour de table s'achevant par une tirade d'un professeur de musique dépassé et une tentative de positiver ce qui peut parfois l'être, à savoir pas grand chose, de la part du professeur d'anglais (qui elle aussi est une femme, mais n'aura pas de « e » à « professeur » non plus), nous attaquâmes le cas par cas, qui avait rarement si bien porté son nom. Cas par cas durant lequel, entre deux avertissements, nous fûmes interrompus par un profond soupir du délégué sus-nommé, apparemment passionné par le déroulement de la chose. Il fut d'ailleurs amusant de voir le Principal adjoint lui parler, commençant sur un ton sentencieux avec de grands mots… avant de se rendre compte que Sganarelle, les grands mots, il n'y entravait que dalle. Principal adjoint retrouva alors les réflexes du professeur des écoles qu'il avait été, et c'était effectivement la seule bonne façon de procéder pour être entendu. 

 

  Bref, ce fut long, ce fut pénible, ce fut parfois même irritant car il fallut s'ébaubir et in fine complimenter un élève qui — ô miracle — avait la moyenne partout, avec un 10 en français (2,5 points de moins par rapport au trimestre précédent), mais bon, vous comprenez, dans une autre classse, il serait tiré vers le haut et aurait sûrement de meilleurs résultats. Alors je ne sais pas si Cléante serait tiré vers le haut ailleurs, pour la simple et bonne raison que n'étant pas doté du don d'ubiquité, Cléante ne peut être que dans une classe à la fois, et qu'il est donc cette année dans la Sixième de l'Angoisse. En attendant, Cléante — élève au demeurant sérieux et travailleur — est incapable d'écrire 5 lignes de rédaction correctes pour décrire un personnage ou de faire moins de trois fautes par ligne1. Et c'est ma tête de classe avec Henriette — meilleure moyenne alors qu'elle ne l'a même pas eue, la moyenne, au dernier contrôle —, Ariste — élève complètement éteint — et… Sganarelle (eh oui !), l'homme qui s'amuse à répandre des rumeurs absurdes et qui ne sait pas ou feint de ne pas savoir faire passer une feuille correctement dans sa rangée. 

 

  Nous partîmes donc avec ma délicieuse collègue prof' principale à 21h du collège, avec le sentiment du devoir accompli dépités par l'absence totale de solutions que propose l'institution à la misère scolaire qu'elle a sans nul doute un peu contribué à créer au passage. Comme l'a rappelé le principal adjoint2, le collège unique, c'est le collège unique, et si tu entres en Sixième de l'Angoisse, tu restes intra muros jusqu'à arriver en Troisième de l'Emmerdement Maximum, sacrifiant au passage les élèves qui voulaient travailler et qui auront eu le malheur de se retrouver en ta compagnie quand tu auras décidé de tuer les poissons rouges de la prof de SVT ou de mettre le feu à une bombe de déo en plein cours de physique3

 

  Ah oui, au fait : nous venons de recevoir un document de notre Principal nous informant que, du fait de nos moyens horaires pour le moins ridicules l'année prochaine, si nous voulions travailler dans des conditions correctes l'année prochaine, il nous faudrait nous limiter à 3 redoublements maximum sur l'ensemble des classes de Sixième (et à 2 pour les Quatrième d'ailleurs). Autant dire que lorsque, 5h par semaine, on fait cours à une telle Sixième, et que l'on découvre que des raisons strictement comptables à la base nous empêchent de recourir à la seule chose qui nous reste encore pour éventuellement essayer de changer les choses, on se demande si l'on ne serait pas mieux comme héros d'un roman de Franz Kafka que comme prof à l'Éduc'Nat. 


 


1. Et oui, il fait bien partie des quatre (!) élèves ayant la moyenne en français ce trimestre ! Imaginez donc le reste de la classe… 

 

2. Avant de tenter de se lancer dans un panégyrique des compétences aussi approprié dans ce conseil qu'une conférence sur la raison pure kantienne le serait dans une crèche.

 

3. Toute ressemblance avec des actes s'étant réellement déroulés en Troisième cette année au collège Jean-Baptiste Poquelin est purement intentionnelle. 

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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 21:20

portecachot

 

  Comme vous l'avez peut-être déjà vu et lu, cette année, j'ai une classe qui me permet enfin de bloguer un peu sur mon quotidien. Chaque nouveau cours est une nouvelle occasion d'être surpris, ébahi, atterré… et je pourrais continuer la liste des synonymes1.


  Or donc mercredi dernier, je finissais mon cours par un beau et grand laïus sur l'élève-son comportement-sa concentration, sur le fait que si tout le monde avait des mauvaises notes, ce n'était pas parce que leurs professeurs étaient de vilains sadiques aux doigts crochus mais bien parce qu'ils n'étaient pas bons, et que n'être pas concentré en classe n'aidait pas à s'améliorer… j'enchaînais sur la politesse, la prise de parole… bref, un condensé de dressage d'éducation de la classe.

  Le lendemain, elle était souriante fatigante. Trois retards, non justifiés évidemment. Les élèves une fois assis ne purent s'empêcher de se faire des remarques les uns aux autres comme si je n'étais pas là. En pleine lecture de la pourtant magique fable « Le Loup et l'Agneau », Elmire tournait frénétiquement (et bruyamment) les feuilles de son classeur à la recherche de la fable perdue. Et là, soudainement, j'en ai eu assez.


   Qu'on me comprenne bien : je n'ai rien contre les élèves d'un bas niveau scolaire. On peut passer d'excellents cours avec des classes très faibles. Je n'ai rien non plus contre les classes mornes et muettes : après tout, s'ils travaillent, c'est l'essentiel… le lien, l'animation, la convivialité, tout cela ne vient qu'après. Mais j'ai fortement contre les classes désagréables, quel que soit leur niveau d'ailleurs. Et là, je crois qu'on tient le pompon : ces élèves ne semblent pas élevés, éduqués. Une collègue mienne les comparait à des « sauvageons », non pas dans le sens où ils tagueraient le mur de la cantine ou briseraient les vitres de l'établissement à grands coups de barre à mine, mais dans le sens où ils semblent des êtres à l'état sauvage, lâchés dans une salle de classe comme ils pourraient l'être n'importe où, et se comportant sans même savoir dans quel lieu ils se trouvent, quelles en sont les règles, les contraintes… Et ce, même pas par mauvais esprit, mais par un mélange extraordinairement insoutenable d'une ignorance étalée à la face du monde d'une part, et d'un sentiment quasi spontané de supériorité que rien ne vient, jamais, justifier d'autre part. Cela se traduit par une remise en cause courante de la parole professorale — rangée au rang des voix extérieures qui constituent une forme de nuisance sonore —, par une façon de s'interpeller, de se commenter les uns les autres sans aucune retenue, sans aucune conscience d'un éventuel « cela ne se fait pas », et enfin par une attention sporadique, qui conduit à la répétion sysiphienne des mêmes réponses aux mêmes interrogations, des mêmes consignes d'exercices que j'ai déjà expliquées, et surtout par un phénomène d'« interruption incongrue du cours », puisque dès qu'une question vient en tête à nombre d'entre eux, ils la voisent automatiquement, peu importe le contexte. Ma collègue s'est vue demander la date de son anniversaire en pleine explication historique, et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

  J'en ai donc eu assez, et ai mis en place une stratégie que je n'aime pas, mais qui est très souvent efficace : celle de la porte de prison2. La porte de prison ne crie pas : elle grince. La porte de prison ne répond pas : elle se tait. La porte ne prison ne s'ouvre pas : elle se ferme. Concrètement, ça donne un prof qui gratte au tableau, qui signale sur un ton ni-narquois mi-déprimant aux élèves qui ont le doigt levé qu'ils vont attraper une crampe, qui sanctionne de façon visible d'une croix tout manquement aux règles de la classe sans même ajouter un commentaire, qui lit d'un ton monocorde3, qui efface le tableau quand il juge que c'est bon, tout le monde a eu le temps d'écrire, et tant pis pour les rêveurs. 

 

  Le calme fut quasi absolu pendant deux heures. Là où l'humour, les tempêtes, les leçons de morale, l'écoute avaient échoué lamentablement à transformer les zébulons en élèves, la porte de prison fut radicale. Pas un bruit, et je crois une (légère) prise de conscience que oui, là, clairement, quelque chose n'allait pas, qu'il y avait un décalage entre ce qu'ils étaient et faisaient et ce qu'ils devaient être et faire. Alors je ne dis pas que cela durera, je ne dis pas que brusquement la classe va se rendre compte que le rapport élève/professeur symbolise le passage du monde de l'ignorance à celui du savoir (et là, eux, je leur demande juste de venir toquer à la porte de mon monde, pour le moment). Mais s'il faut faire la porte de prison toute l'année, eh bien je le ferai et, croyez-moi, c'est tout sauf un plaisir : le temps passe bien lentement, et l'on n'aime pas l'image que l'on renvoie de soi.  

 


1. Et d'ailleurs je le fais pour vous, merveilleuses lectrices, fantastiques lecteurs : interloqué, sidéré, médusé, éberlué, ébaubi, consterné, chagriné, catastrophé.

 

2. Et voilà qui apporte la solution de l'énigme que constituait le titre de mon article !

 

3. La Fontaine, me pardonneras-tu un jour ? 

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 23:11

débâcle

 

 

  L'année dernière, délicieux lecteurs, délectables lectrices, j'avais des classes agréables, tranquilles, paisibles… bref, rien qui ne m'a permis de pondre un article de blog digne de ce nom sur mon « vécu ». Heureusement pour vous, cette année, grâce à la Sixième de l'Angoisse, c'est toutes les semaines feu d'artifice ! Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, c'est ici et . Pour les autres, réjouissez-vous : voici un nouvel épisode ! 

 

 

  Or donc, ma fougueuse collègue de dessin d'Arts Plastiques en avait une bien bonne à nous raconter lors du repas de Noël. Avant de sortir rouge comme une pivoine à la fin de son heure car Philinte lui avait gentiment signalé que son cours était chiant, elle avait eu l'occasion de revenir un peu sur le conseil de classe avec Dorante, le délégué, qui semblait pourtant avoir quelques neurones en état de marche au début de l'année… Or Dorante ne se souvenait pas du tout y avoir assisté ! Mais si, enfin, Dorante, la réunion, là, avec les professeurs de la classe, où ils ont mis des félicitations des avertissements ! Ah oui, ça revenait à Dorante. Mais bon, elle ne servait à rien, quand même, cette réunion. Mais comment ça, Dorante, elle ne servait à rien ? Ah ben quand même, tous les élèves avaient la même moyenne, alors bon, quel intérêt… 

  Ça, Dorante, c'était la moyenne de classe… 


***

 

  Branle-bas de combat au collège Jean-Baptiste Poquelin : le Chef, ulcéré par l'accumulation de crachats aux quatre coins de l'établissement, s'est fendu d'une poétique lettre ouverte1 aux élèves dans laquelle il assimilait les fautifs à des gastéropodes ou à des pigeons pataugeant dans leur fiente. Lettre ouverte transmise aux délégués qui la lirent à leur petis camarades. Bilan de Cléonte suite à la lecture, devant mon immarcescible collègue d'Histoire-Géographie : 

  « Mais pourquoi le Principal, il veut que les pigeons nous chient dessus ? »

 

***

 

  Pendant ce temps-là, votre serviteur enrichit le vocabulaire des petites merveilles qu'il a en face de lui. Après avoir courageusement expliqué ce qu'était une sirène qui retentit (« le truc qui fait du bruit sur une voiture de police ») et habilement décrypté les arcanes du verbe nouer (« faire un nœud »), me voilà soudain endossant la casquette du botaniste au fil de puissants exercices de grammaire sur le présent de l'indicatif. Oui, Dorimène, la primevère est une fleur. Mais oui, Arminte, le bleuet est une fleur, aussi. Même qu'elle est bleue. Comment, Cléonte ? C'est quoi une pâquerette ? Eh bien, c'est une marguerite en plus petit. Ah oui mais non, vous ne savez pas ce qu'est une marguerite, suis-je bête. Eh bien une pâquerette, c'est une fleur blanche avec le centre jaune (j'ai habilement évité le mot « pétale », on ne sait jamais, Elmire ne le connaît peut-être pas…). J'en profite pour glisser que le coquelicot est une fleur rouge, on ne sait jamais, ça me fera peut-être gagner du temps sur un prochain exercice. 

  Rappelons donc que mon collège se situe en pleine cambrousse, entre une forêt, des prés et des champs. Des pâquerettes, il n'y a que ça, autour d'eux (certes, pas en décembre).

 

***

 

  Le pire est qu'il ne sont pas forcément désintéressés (sauf quelques irrécupérables, déjà). Mais ils n'ont pas accès à ce qu'on leur enseigne. Lire et comprendre une consigne est pour la plupart un acte quasi insurmontable. En contrôle, je me vois obligé de répondre à quatre fois plus de questions que la normale, sinon certains font absolument n'importe quoi. J'ai réussi à les accrocher sur les contes de fées, en leur parlant symboles, violence, sang et psychanalyse. Hyacinte a même retenu ce mot compliqué, et pourtant Hyacinte ne retient rien. Mais là, je feuillette leurs contrôles, et sur la terrible question « Citez trois auteurs célèbres de contes de fées. Donnez pour chacun le titre d'un conte qu'il a écrit. », on y croise « les frér Grim » ou encore « les frères grime », « Ordensenne2 », sur une même copie trois fois Charles Perrault avec trois contes différents3,  « Chare D'orlean4 », et même… personne, alors que sur le sujet, on a un extrait de « La Barbe bleue » de Perrault, avec comme il se doit nom de l'auteur et titre de l'œuvre indiqués à la fin. Notons que plus de la moitié des élèves n'a pas rédigé la réponse à la question, alors que c'est indiqué en bas du sujet, que je leur ai rappelé la chose au début du contrôle, et que je l'ai à nouveau dite pendant le contrôle.     

  À la rentrée, j'attaque les fables de La Fontaine. Je tremble déjà pour le loup, l'agneau, la cigale, le chêne, le bûcheron, le roseau et la fourmi. 

 

 


1. Une bien bonne polémique, ça encore. On s'éclate, parfois, quand on est Personnel de Direction ! 

2. Andersen… 

3. Bien essayé, Arsinoé !

4. Célèbre auteur de contes de fées s'il en est…

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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 21:27

miserables

 

  Eh oui, il est arrivé, le conseil de la Sixième de l'Angoisse ! Autour d'un sympathique petit pré-dîner1, nous évoquâmes les cas de Clitandre, Célimène, Oronte, Argan et Zerbinette. Et il y avait de quoi évoquer : 7,9/20 de moyenne de classe, c'est un record personnel. Mon collègue de SVT s'est demandé en voyant les notes si l'on n'avait pas remplacé la classe par un groupe de primo-arrivants2. Non non, c'étaient bien eux, et leurs notes en Français s'étalaient bien de deux-virgule-pas-grand-chose à même-pas-treize. Pour comparaison, dans mon autre classe de sixième, soumise au même traitement, un tiers de la classe est au-dessus de 15 de moyenne… 

  Après un tour de table catastrophé et catastrophiste, nous entamâmes l'étude des cas3, distribuant une absence totale de Félicitations4 et une forte pénurie de Compliments. On Avertit en revanche solidement, et on Encouragea ceux qui voudraient bien mais ne peuvent point. On s'extasia quand un élève (deux ou trois, en tout) avait la moyenne dans toutes les disciplines, et on reprit des rillettes pour masquer le désarroi qui s'installait petit à petit. Eh non, Cléonte ne travaille pas. Eh oui, Climène sait à peine déchiffrer les mots inconnus. Et si, Marianne, moins de 4 de moyenne en maths, s'est vraiment plainte de la lenteur du cours, arguant qu'elle aurait de meilleurs résultats si le professeur allait plus vite. 

 

  Aujourd'hui, lendemain du conseil, neuf élèves n'avaient pas fait l'unique exercice demandé. Trois n'avaient pas recopié les phrases. Aujourd'hui, deux portables ont sonné pendant la même heure de cours. Aujourd'hui, Arnolphe m'a demandé, le plus sérieusement du monde, ce que signifiait le verbe « nouer ». J'ai vérifié : il portait des chaussures à lacets, pourtant.

 

  Aujourd'hui, je leur ai fait conjuguer des verbes au présent de l'indicatif durant une heure. Demain, je recommence. Chers collègues du Primaire, je vous enjoins de m'accueillir à bras ouverts, avec tendresse et compréhension : cette année, cinq heures par semaine, je suis l'un des vôtres.  

 

 


1. Souvent, dans nos conseils de classe, le Professeur Principal apporte à manger et à boire, ce qui permet de joindre l'agréable à l'utile.

2. Élèves qui viennent d'arriver dans le pays sans en parler la langue. 

3. Dans tous les sens du terme, hélas…

4. Une première pour moi dans un conseil de classe

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 22:25

débâcle

 

 

  C'est toujours un effet du hasard. Et parfois, ça tombe sur vous. Cette année, c'est tombé sur moi : je suis le professeur de français de la Sixième de l'Angoisse. Ça s'est senti rapidement d'ailleurs : l'année allait être longue. Ça s'est très vite confirmé : 6 élèves ont séché le premier cours de soutien, dont un au moins volontairement. Pour les autres, c'est plus flou : il n'est pas certain qu'ils aient compris le système de groupe 1/groupe 2, bêtement calqué sur l'ordre alphabétique. Ma délicieuse collègue d'Histoire-Géographie leur avait pourtant rappelé le matin même kikiallait au soutien et kikiyallait pas. Mais entre le matin et l'après-midi, il y a tout le temps d'oublier. J'avais fait écrire la chose sur le carnet de correspondance (en marquant bien ça au tableau), mais l'un des élèves n'avait pas été capable de recopier. Une mère d'élève (pas le même !) à ma collègue1 : « Ah mais de toute façon, il ne sait pas lire ! »

 

  Je m'en étais hélas aperçu… Et il n'est d'ailleurs pas le seul. Curieux de nature, j'ai décidé cette année de faire passer un contrôle d'entrée en 6e à mes élèves, avec de la bonne grammaire et de la bonne conjugaison calquées sur le programme de chaque année de primaire, et en sus une petite lecture à voix haute d'un bout de conte mythologique, avec des noms de dieux ou de personnages tout rigolos avec des "h" et des "y" ! Bon, quand j'ai vu que la majorité n'arivait pas à souligner les noms dans quatre courtes phrases (voire n'arrivait pas à compter les phrases), ne savait pas conjuguer la plupart des verbes au programme du CE1 (et aux temps vus en CE1), et que tout le monde ou presque s'était arrêté au milieu du CE2, soit parce qu'ils ne pouvaient pas, soit parce que faire les choses basiques leur prenait tellement de temps qu'il ne leur en restait plus, là, j'ai commencé à blêmir. La lecture à voix haute m'ayant achevé (des mots mis les uns à la place des autres chez la moitié d'entre eux, un déchiffrage poussif des mots simples, une incapacité chronique à déchiffrer les mots inconnus, une constance bornée dans la non prise en compte de la ponctuation…), je me dis que bon, ils étaient peut-être faibles, mais que cela n'empêcherait pas qu'on passe une année sympathique. Après tout, j'en ai déjà eu, des élèves faibles (bon, pas tous dans la même classe, c'est vrai), et ils peuvent être tout à fait charmants.

 

  Même pas. Entre celui qui taille son crayon avec ses ciseaux SUR la table (mettant des pelures partout), celui qui cherche frénétiquement sa feuille de papier tombée par terre AU MOMENT où tu lis un poème (« dans le plus grand silence », ha ha ! raté…), celui qui te répond, celui qui te regarde droit dans les yeux avec son petit sourire, celui qui mâche ostensiblement son chewing-gum sur le chemin de la poubelle, celui qui n'a toujours pas de classeur 15 jours après la rentrée, celui qui t'explique que Pasteur a inventé le vaccin contre le SIDA (et qui t'engueule presque quand tu lui signales que non), celui qui a bien un classeur avec des intercalaires mais qui met toutes ses feuilles devant et tous ses intercalaires à la fin ; celui qui t'explique avec une candeur naïve que les instits de primaire avaient peur d'eux…  on est servi !

 

  Mais bon, on retrousse ses manches ; on met des croix (mais pas pour cocher des compétences, là…) ; on pousse deux trois gueulantes ; on pardonne intérieurement à celui qui discute parce qu'on sait très bien qu'il n'y comprend absolument rien, à ce qui est en train de se dire ; on tente de se raccrocher aux à l'élève d'un niveau correct ; on ne s'énerve pas quand Clitandre répète pour la seconde fois que « Le Buffet » de Rimbaud contient de la vaisselle alors qu'on vient juste de faire la liste de ce qu'il contenait, à savoir des linges, des chiffons, des dentelles, des fichus, des médaillons, des mèches de cheveux et des fleurs sèches ; on ne tique pas lorsque, lors de l'étude du quatrième poème du chapitre, pour travailler sur le rythme, aucun élève n'envisage de regarder la longueur des vers, alors qu'on l'a fait sur les trois poèmes précédents et qu'on a passé deux heures sur la versification ; on ne s'étonne donc pas quand la moyenne de la classe est de 5/20 pour une dictée de deux phrases à l'imparfait de l'indicatif (fataliste, on compare avec l'autre Sixième, pas spécialement brillante, car les brillants sont dans la section bilangue, mais dont les notes sont en moyenne deux fois supérieures…). La collègue du soutien français vous demande de finir la compréhension du poème qu'ils auront à réciter car elle n'a pas eu le temps (elle l'avait eu avec l'autre classe, sans soucis)… poème que vous avez déjà expliqué, bien entendu, mais la pédagogie, c'est la répétition.

 

  On s'interroge, tout de même : est-ce un fait exprès ? Mais comment peut-on faire exprès de créer une mauvaise classe de 6e avec ces livrets de compétences de primaire auxquels on ne comprend rien du niveau de l'élève ? Et là, on se rend compte que la majorité des élèves vient de Trou-perdu-village, le village aux bas loyers, là où que c'est pas cher de se loger dans le bassin2. On y est : notre école fonctionne réellement sur le déterminisme social. Les pauvres sont devenus fatalement cons ; les riches, eux, ne sont pas forcément intelligents, mais au moins ils savent à peu près lire.

 

  Alors forcément, on se demande, on devient un peu soupçonneux : on aimerait connaître les méthodes de lecture, la quantité et la qualité de la grammaire  déversée dans le bassin au CP, au CE et au CM. On propose même d'envoyer un fichier aux parents pour qu'ils apprennent à lire à leurs enfants3. Et puis bon, allez, ils commencent à être un peu mieux cadrés ; le travail est davantage fait. L'ambiance s'améliore. Et là, les vacances arrivent.

 

  … Et tout fut à recommencer. 

 

 


1. Qui a l'immense joie d'être professeur principal de la classe. Parfois, on doit avoir fait de sacrées saletés dans une vie antérieure, ou bien un sorcier vaudou mal luné aura trouvé que votre tête ne lui revenait pas…

 

2. Non, il n'y a pas de fuites à Trou-perdu-village. Le mot « bassin » est simplement du dernier chic dans la terminologie Éduc'Nat'.  

 

3. J'ai réellement fait cela, oui. Les parents avaient vu les résultats de l'évaluation d'entrée, lecture à voix haute incluse. J'ai proposé ce que je pouvais. Aucun ne m'a demandé mon fichier. Aucun n'a pris rendez-vous avec moi pour voir ce qu'il pouvait faire pour aider son enfant. 

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