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25 février 2016 4 25 /02 /février /2016 11:03
Le prédiQUOI ???

Nouveaux programmes, nouvelles joies : on doit enseigner le prédicat (tadam !) dès le CM1. Tout le monde s'est gratté la tête. Une collègue blogueuse professeur des écoles a écrit pour expliquer en quoi c'était une bonne chose. Voici un avis divergent (le mien, donc). Migraineux s'abstenir.

Le premier souci avec cette notion de prédicat, c'est qu'elle n'est pas claire dans le programme : dans les tableaux de la partie Étude de la langue cycle 3, on en dit d'ailleurs ceci : « le prédicat de la phrase, c’est-à-dire ce qu’on dit du sujet (très souvent un groupe verbal formé du verbe et des compléments du verbe s’il en a) ».
Donc là, le prédicat est "très souvent un groupe verbal" (mais pas toujours ? Et quand ça ne l'est pas, qu'est-ce donc ?), et dans le même temps "ce que l'on dit du sujet" (ce qui est la définition du "propos").


Ce n'est pas clair dans le programme parce que ce n'est pas clair chez les grammairiens : il y a en effet un "prédicat grammatical" (qui recouvre la notion de groupe verbal, grosso modo, et dont on peut donner la définition québécoise) et un "prédicat logique" (qui recouvrirait davantage la notion de "propos", qui elle même ne recouvre pas forcément celle de GV, donc : « Le prédicat, on en parle beaucoup » -> le prédicat = thème, le fait d'en parler beaucoup = propos). Je ne parle pas des grammaires parlant des relations prédicatives entre le verbe et ses arguments, sujet inclus : on n'en sortirait pas.


Partant de là, si l'objet est simplement de faire des tripartitions des phrases (le sujet, le verbe et ses compléments essentiels, les autres compléments), je crois que le GV permettait déjà largement de le faire, et que là, on ajoute simplement un nouveau terme, à peu près impossible à définir correctement à l'école et au collège (allez expliquer en quoi le prédicat "prédique" à des élèves de cet âge-là…). Donc qu'est-ce que ça apporte, y compris pour l'écriture ? J'avoue que je ne suis pas convaincu.


Et là, je voudrais élargir un peu le propos. Je ne suis pas certain que ces notions soient opérantes à l'école et au collège. Dans ma pratique, le fameux GV est source de bien plus de complications que de progression : un infinitif accompagné ? Groupe verbal. Une proposition ? Groupe verbal. Allez expliquer à des élèves que non, ce ne sont pas des groupes verbaux. Mais que dans la phrase « Le vent souffle. », « souffle » est un groupe verbal, quand bien même il est un peu seul pour être un groupe.


Même chose pour les fameux « compléments de phrase ». On n'est pas en cours de linguistique de L2, et la définition de la phrase à l'école demeure donc nettement moins ambitieuse. Alors expliquer que le « complément de phrase » complète la phrase, alors que pour eux, il est pourtant dedans, ça tient du prodige. Et quand on commence à avoir plusieurs propositions dans la même phrase avec des « compléments de phrase » visiblement rattachés à une seule des proposions (« Pierre joue dans le jardin tandis que son frère lit dans le salon. »), ça tient du miracle. Et je ne rentre pas dans les compléments de phrase qui, en fait, ne se déplacent pas, ou pas bien, et que des grammairiens facétieux appellent… intra-prédicatifs ! (si si, je vous jure, ils ont osé)


On se retrouve ainsi avec une terminologie qui n'est absolument pas intuitive sur le plan sémantique : le groupe verbal n'est pas un groupe autour d'un verbe comme le groupe nominal est un groupe autour d'un nom (et pour cause, car les deux notions ne sont pas situées sur le même plan grammatical) ; le prédicat "prédique", mais on ne sait pas très bien ce que ça veut dire ; le complément de phrase ne complète pas la phrase dans le sens où l'on utilise le mot « phrase » à l'école. Et on se retrouve à déplacer/supprimer/encadrer d'une façon qui peut vite tourner à vide, parce que, une fois encore, à quoi sert-elle dans la lecture et dans l'écriture ? Je ne dis pas que l'étiquetage à outrance soit une panacée, mais il m'a toujours semblé qu'une grammaire nettement plus sémantique avait un intérêt très fort au plus jeune âge, car elle structurait la pensée avec des notions comme l'objet (Pierre cueille des fleurs -> les fleurs sont l'objet de la cueillette), la circonstance, l'agent, le moyen, la cause, le but, la conséquence, etc. Est-ce que c'était parfait sur le plan descriptif ? Certainement pas, et on était bien embêté avec les "Pierre va à Paris" et "Ce plat coûte 15 euros". Mais comme je ne pense pas qu'on fera une description intégrale de la langue entre le CP et la 3e, autant choisir un système qui ait le plus de sens possible. Et de ce point de vue, j'ai du mal à croire que ce soit celui qui parle de prédicat qui gagne. On peut faire exactement les mêmes choses sans (bannir les répétitions du sujet, ajouter des compléments circonstanciels, utiliser des notions comme la transitivité pour la construction du verbe…), et je ne vois pas à quel moment on gagne du temps sur quoi que ce soit en étudiant cette chose ; au contraire, je pense qu'on en perd, et beaucoup, et qu'on embrouille, et pas qu'un peu.


Une fois dit tout cela, si on nous force, un fusil sur la tempe, à enseigner le prédicat, ce que propose Charivari (s'en tenir au prédicat grammatical, identifié comme une sorte de "fonction" du GV), est clairement le moins pire.

PS : encore un peu de prédicat ? Cet autre article sur le sujet d'un de mes collègues est pour vous !

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