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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 19:48

couv5

 

 

  Je ne sais si, comme moi, vous fûtes bercés durant votre enfance par Claude, Mick, François, Annie et Dagobert. Je dois dire que je garde du Club des 5 d'Enid Blyton un excellent souvenir : des aventures extraordinaires, des personnages attachants auxquels on s'identifiait facilement, un super-chien presque humain dans ses réactions… Bref, le Club des 5 fut une vraie étape de mon enfance.

  Or donc j'ai un jour entendu qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume de la bibliothèque rose. Je ne parle pas ici de la présentation "marketing" de la collection affreuse, ni même des  horribles illustrations de couverture qui ont remplacé les beaux dessins d'époque (qui ont d'ailleurs disparu des pages intérieures, alors qu'ils y rythmaient auparavant l'intrigue)… je parle de la traduction. « Traduction revue », me dit mon édition contemporaine. Et pour cause ! Traduction massacrée serait en fait le terme le plus approprié. Je vous propose donc un petit comparatif entre la traduction originale et celle que l'on peut trouver aujourd'hui dans les librairies, avant d'essayer de tirer de tout cela quelques enseignements. Je m'appuie pour ce faire sur le titre Le Club des Cinq et les saltimbanques, renommé depuis Le Club des Cinq et le Cirque de l'Étoile. À lire pour savoir quoi acheter à notre enfant, petite nièce, arrière-cousin, fils des voisins…

 

 

I- Oui, oui, tout a changé ! (comparaison d'ensemble)

 

  À commencer par le titre, donc, qui évacue le mot « saltimbanque », probablement jugé pas assez politiquement correct (vous verrez, l'accusation n'est pas gratuite). Rien à voir avec une volonté de se rapprocher du titre anglais, au passage. 

 

1) Il est une fois

  Modification la plus radicale : le récit n'est plus au passé simple, mais bien au présent ! 

Claude soupira → Claude soupire

 

2) On n'est pas des nous !

  Le niveau de langue des personnages a singulièrement baissé. Tous les « nous » sont devenus des « on », et le vocabulaire est sacrément appauvri !

Donc, nous n'irons pas à Kernach cet été, conclut François. Qu'allons-nous faire, alors ? → Dans ce cas, c'est très clair : on n'ira pas à Kernach cet été, conclut François. Alors, qu'est-ce qu'on fait ?

Oui, c'est une bonne idée ! → Mais oui, c'est un projet génial !

 

3) Les descriptions, c'est ennuyeux

  Et donc les pauvres descriptions du roman ont fondu. Et on a également coupé un certains nombre de phrases, de répliques : non à la longueur ! 

 

4) Le politiquement correct

  Rappelons que, dans l'histoire, nos amis croisent Pancho, un jeune forain accompagné d'un sympathique singe, et qui est malheureux car il est traité rudement par son « oncle ». Comprenez qu'il est battu. C'est dit dans le livre. Cela fait du jeune garçon un personnage touchant, compagnon d'autres jeunes bambins aux conditions de vie difficiles dont la littérature pour jeunes gens est remplie. Or dans l'édition actuelle, Pancho n'est plus battu : tout au plus a-t-il reçu une fois une gifle de son oncle. Les motivations psychologiques des personnages ne collent d'ailleurs ainsi absolument plus à l'action. 

  Signalons au passage que la méfiance que les forains expriment envers la police a tout bonnement été caviardée, ainsi qu'une scène pourtant pittoresque où une vieille foraine ratatinée récupère les ouistitis enfuis à grand coups de paroles incompréhensibles, façon vieille sorcière. 

  De surcroît, les répliques ont été « redistribuées » entre les différents personnages : ce n'est plus Annie qui pleure à intervalles réguliers ou qui va faire la tambouille. Qu'on se le dise, le sexisme ne passera plus par le Club des 5 ! 

 

 

II- Étude de cas (le chapitre 10)

 

  Afin de bien rendre compte de ce qui a été infligé à la série, j'ai choisi — complètement au hasard — un chapitre du livre et ai comparé avec précision les deux traductions. 

 

VOCABULAIRE/NIVEAU DE LANGUE

Quand ils furent en vue → Quand ils s'approchent

Comptez-vous aller plus loin bientôt ? → Vous comptez rester longtemps ?

Nous resterons ici aussi longtemps qu'il nous plaira → On restera ici aussi longtemps qu'on voudra

Nous aurons du mal à l'empêcher de s'en prendre à ces messieurs → Nous aurons du mal à l'empêcher de vous sauter dessus.

Mon bon Dagobert ! → Salut, toi ! 

Au revoir ! À bientôt ! → Allez ! À bientôt ! Salut !  

 

CAVIARDAGE (politiquement correct)

  Tout le passage où Mick soupçonne à voix haute l'oncle de Pancho d'avoir envisagé de les voler est coupé. Dommage, il permettait de montrer d'intéressantes réactions psychologiques : rougissement de Mick, peur de blesser l'autre, réaction saine de Pancho.

  On ne mentionne plus que l'« oncle » de Pancho a élevé ce dernier, orphelin, juste pour l'argent. 

J'irai dans un autre cirque, parce que , dans celui-ci, on ne veut pas me laisser approcher des chevaux. C'est de la jalousie, j'en suis sûr, parce que je sais m'y prendre avec eux. → caviardé. Bouh les mauvais sentiments ! 

dit Lou en montrant ses vilaines dents jaunes → dit-il en montrant du doigt les roulottes rouges et vertes. 

Tu m'as battu → Tu m'as grondé

Je ne pensais pas que Pancho pouvait s'entendre avec des enfants comme vous. Ce n'est pas son genre ! → Je pensais que c'était une mauvaise idée que Pancho devienne votre ami : il souffrira de vous quitter quand le cirque reprendra la route.

  Admirez comment on a violemment injecté une grosse dose de bons sentiments dégoulinants au méchant oncle. De manière générale, cet oncle perd à peu près tout ses défauts, et on se demande bien ce qu'on en vient à lui reprocher.  

 

CAVIARDAGE (raccourcissement pur, descriptions massacrées, etc.)

Claude trouvait réconfortante la certitude que Dagobert l'entendrait si elle le sifflait. Il accourrait au premier appel ! → Y'a plus !

 (D'autres phrases disparaissent dans le même passage)

Et puis, je me plais avec vous ! — Merci répondit Annie. → y'a plus ! 

Ils passèrent une heure à discuter, puis le soleil disparut dans un flamboiement d'incendie, et le lac refléta de merveilleux tons de pourpre et d'or. → Ils passent encore une heure à discuter, puis le soleil disparaît derrière les sommets alpins, et le lac prend des reflets dorés. 

 

 

III- Synthèse


  Si nous résumons rapidement, le lexique s'est appauvri ainsi que les descriptions, le langage est plus « proche » de celui des jeunes, le passé simple —probablement jugé trop difficile d'accès — a disparu, la complexité psychologique des personnages ainsi que leurs caractéristiques propres ont été gommées… et surtout le texte a été soumis à une véritable révision idéologique, façon Anastasie ! La gentillesse irradie, suinte de partout ; les méchants ne sont plus trop méchants ; l'expression des préjugés est évacuée ; la figure de l'enfant battu est pudiquement passée sous silence ; les scènes de genre qui présentent le monde des forains comme un groupe social doté d'un certain protectionnisme, d'une certaine méfiance des étrangers et de pratiques parfois hors du commun ont disparu. Ajoutons à cela quelques incohérences délicieuses : on fait intervenir Dagobert dans le dialogue à un moment où il n'est pas là ; et surtout, les membres du Club des 5, désormais armés de leurs téléphones portables, vont quand même frapper à la porte de la ferme pour téléphoner (leur couverture réseau n'a pas l'air excellente !).

  Que s'est-il passé ? On peut y voir d'une part l'influence du pédagogisme : nul doute qu'une personne dotée des meilleures intentions du monde s'est dit que non, vraiment, ces histoires étaient un peu dures, et qu'il fallait lisser tout ça, pour ne pas présenter aux enfants des choses qui pourraient les choquer, leur donner de mauvaises idées, etc. 

  Mais j'y vois aussi une marque de la baisse du niveau. On ne révise pas des traductions à ce point si ce n'est aussi pour des raisons commerciales. Pourquoi ce lexique rachitique, ce présent de l'indicatif ? Mais parce qu'il faut continuer à vendre les livres, bien sûr, et pour cela, il faut que le maximum d'enfants puissent les lire ! De là à dire que le niveau de lecture baisse et que les commerciaux s'en sont rendu compte et on cherche à remédier à cela, il n'y a qu'un pas que je me permets de franchir. 

 

  En conclusion, si vous aussi vous avez aimé le Club des 5 et si vous souhaitez faire partager ce plaisir aux jeunes gens d'aujourd'hui, le marché de l'occasion vous tend les bras !  

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commentaires

R
Bonjour,<br /> En faisant des recherches sur le club des cinq, que je lis à mes enfants chaque soir, j'ai appris cette histoire de réécriture. La plupart des articles pointent vers "Le club des Cinq et les saltimbanques", et de fil en aiguille je suis remonté jusqu'à votre billet, qui semble être à l'origine de cette agitation. Je trouve fascinante la manière dont cette recherche met en évidence des travers de notre système d'information, et montre que la simplification dont on accuse le mouvement "woke" est largement présente chez ses détracteurs (je ne parle pas de vous, mais de ceux qui citent votre billet).<br /> On a d'un côté la source : votre travail de comparaison entre l'œuvre originale et la récente édition, et sur un ouvrage unique. Vous y montrez des modifications indéniables (passage au présent, simplification de certaines descriptions, remplacement du nous, etc.). Et il y a d'autres passages comme : "on a violemment injecté une grosse dose de bons sentiments dégoulinants" qui sont des affirmations subjectives. De mon côté, si je constate également un changement entre les versions de mon enfance et les éditions actuelles, je trouve que c'est souvent positif. Par exemple, je ne suis pas obligé d'arrêter ma lecture toutes les deux minutes, pour expliquer à mes enfants en quoi tel ou tel passage est sexiste et contribue à forger des inégalités hommes/femmes dans leur jeune inconscient. Ma position comme la vôtre sont défendables, argumentables, mais ce n'est pas le but de mon propos.<br /> Ce que je trouve intéressant c'est qu'à part vous, depuis votre article, personne n'a fait ce travail de comparaison. Qu'on vous cite, ou qu'on reprenne vos arguments sans en donner la source, on reste sur votre recherche originale, aucun travail supplémentaire n'est engagé, si ce n'est de "l'éditorialisme", pas très éloigné du commentaire, et même dans des médias traditionnels comme le Figaro. Chacun y va de sa petite note sur le politiquement correct et la sauvegarde du passé, mais ça s'arrête là. On aurait pu, par exemple, faire cette comparaison sur un autre ouvrage, ou interroger les responsables éditoriaux de Hachette sur leurs choix, mais non, on reste en surface.<br /> Mais ça va plus loin : sur la base de votre article, certains prêtent des intentions idéologiques à ces livres pour enfants. J'ai pu lire un florilège de plaintes préformatées : "aujourd'hui on ne peut plus rien dire", "ouin ouin les minorités", "trop d'amalgames", "on crétinise la jeunesse", "c'est la chasse aux sorcières", "c'était mieux avant", et j'en passe. Sur quoi on s'appuie pour affirmer ça ? Quelques lignes tirées d'un blog.<br /> Pour moi, ça met en évidence une paresse intellectuelle. Ceux qui affirment haut et fort qu'on crétinise la jeunesse seraient bien inspirés de se demander en quoi leur attitude est si éclairée. Sur quoi s'appuient-ils, quels sont leurs arguments, peuvent-ils faire autre chose que répéter ad nauseam les mêmes rengaines ? <br /> Copier/coller sans engager de travail, ne rien vérifier, réduire la complexité du réel pour qu'elle colle à nos vues, simplifier un point de vue différent pour le tourner en ridicule, ce n'est pas élever le débat mais participer au bruit ambiant.
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A
Bonjour Rémi, je trouve votre propos très juste. Pour information, deux étudiantes ont réalisé ce travail de comparaison, Laureline Weymans et Annie Maisonneuve. Elles ont choisi de travailler sur ce roman car il a fait polémique mais également sur trois autres romans de la série : Le Club des cinq et le passage secret (le premier roman sorti en France), le Club des Cinq et le trésor de l'ile (premier roman anglais) et Le Club des Cinq en vacances (traductrice différente).<br /> Je réalise une thèse à plus grande échelle, sur l'évolution des séries des Bibliothèque Rose et Verte (neuf séries au total). Pour ma part, j'ai choisi de travailler sur Le Club des Cinq en roulotte renommé Le Club des Cinq et le château de Mauclerc pour cette série, mais j'interroge plus vastement le système éditorial.
R
Field Service Management has a crucial role in maintaining telecommunication systems as they are responsible for planning, installing, testing, and maintaining the equipment to run a proper communication network. Their general duties include the maintenance and repair of equipment and construction of towers to ensure optimal performance. A telecom engineer’s job involves the use of various tools such as interconnect devices, network facilities, and radios. A field engineer also works with engineers from other fields for equipment installation and then report to the upper management.
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I
Ratée l'évacuation du sexisme : Sur l'illustration, Claude est féminisée, elle est en rose, ses cheveux moins courts et brushés. Exit son refus des conventions féminines !
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P
The sun went down in a blaze of orange and red, and the lake shimmered with its fiery<br /> reflection.<br /> La première traduction - la meilleure- est un peu ampoulée . D'où viennent ces "merveilleux tons de pourpre et d'or" ? Du petit adjectif fiery ? <br /> Mais la seconde ! Quelle horreur! Outre le passage du passé au présent went-disparaît, voilà que blaze of orange and red devient des sommets alpins !!!<br /> Une nouvelle traduction, plus juste était sans doute bienvenue, mais cette réécriture est une abomination.
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A
La traduction originale intervertit les descriptions : "its fiery reflection" devient "un flamboiement d'incendie", et s'applique directement au soleil plutôt qu'à sa réflexion ; tandis qu'"a blaze of orange and red" devient les "merveilleux tons" du lac (implicitement, de la réflexion du soleil).
P
Comme votre comparaison est intéressante, il m'a semblé juste de revoir le texte original. Là surprise, certains de vos arguments ne tiennent pas."J'irai dans un autre cirque, parce que , dans celui-ci, on ne veut pas me laisser approcher des chevaux. C'est de la jalousie, j'en suis sûr, parce que je sais m'y prendre avec eux." n'est pas un texte caviardé il correspond au texte original "I join another<br /> circus, where they'll let me look after the horses. I'm mad on horses. But the fellow at<br /> our circus won't often let me go near them. Jealous because I can handle them" <br /> Toujours est-il que grâce à vous, je relis le club des 5, cinquante ans après.....
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J
Justement, cette phrase a disparu de la nouvelle traduction. C'est en cela que je parle de « <br /> caviardage ».

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