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28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 21:17

crane

  Ça fait un petit moment que vous n'avez pas eu cours, je crois…

 

 

« Quoi, m'sieur ? Un cours pendant les vacances de Noël ? Entre Noël et le jour de l'an ? Mais vous avez forcé sur le champagne, ou quoi ? »

Je savais que ça vous plairait, Arnolphe ! 

 

 

  Puisque certains collègues m'ont dit avoir apprécié l'étude d'une gravure de Gustave Doré (que l'on retrouvera ici), je réitère. Là, c'est plutôt niveau lycée, je pense, pour toute personne souhaitant travailler sur la mort, la religion, l'humanisme, la concupiscence, etc.

 

  Le tableau, c'est évidemment celui-ci : 

 

ambassadeurs

 

 

  Et l'analyse, c'est celle-là : 

 

  Les Ambassadeurs, une huile de Holbein le Jeune, datant de 1533, et qui fait partie de ce genre pictural que j'aime tant : les vanités (oui, d'où le titre de l'article), genre reconnaissable le plus souvent à la présence d'un crâne dans le tableau. Ce genre pictural fait évidemment référence au texte biblique de L'Ecclésiaste, qui rappelle la misère de l'homme sans Dieu, et la grandeur de l'homme avec Dieu.

 

  Cette vanité, donc, est fondée comme les autres sur l'opposition entre les faiblesses humaines et la grandeur divine. Les faiblesses humaines, ce sont les trois concupiscences qu'on retrouve chez Pascal :

 

  • libido sciendi (désir de savoir)
  • libido sentiendi (désir de sentir, de jouir)
  • libido dominandi (désir de pouvoir)   

 

  Elles sont ici formidablement représentées. Dans les deux personnages tout d'abord, les deux ambassadeurs (Jean de Dinteville et Georges de Selve, pour les amateurs de news people), possédant tous les deux les vêtements du pouvoir (pouvoir "noble" à gauche, avec l'hermine, le sceptre, les armoiries en pendentif ; pouvoir ecclésiastique à droite, avec l'habit qui fait le moine).  Sur la table du centre ensuite, couverte d'instruments du savoir humain (globes, livres…) et du plaisir humain (luth)1.

 

  Et pourtant, ils n'ont pas l'air heureux, et leur regard est fuyant. Ils évitent bien de regarder la tache étrange à leurs pieds, essayant ainsi de l'oublier. Oublier quoi ? L'idée de la finitude, bien sûr, représentée par ce crâne2 en anamorphose. Le seul espoir de salut est d'ailleurs tout aussi inaccessible pour les personnages que pour le spectateur qui s'échine à trouver le bon placement pour voir correctement ce crâne : c'est le crucifix en haut à gauche (oui, je sais, il est tout petit et vraiment sur le bord).

 

 À partir de là, on rejoint bien notre idée de départ : les trois concupiscences ne constituent pas le salut (elles sont un divertissement — au sens pascalien du terme —, i.e. un moyen pour l'homme de ne pas penser à sa finitude). L'homme doit au contraire accepter le fait qu'il est mortel (et ne pas l'oublier !) et tourner son regard vers Dieu pour obtenir le Salut.      

 

  Un petit coup de Montaigne là-dessus (« Que philosopher, c'est apprendre à mourir »), et nous voilà avec une bonne base de chapitre réjouissant et primesautier ! On va s'éclater grave en cours de français ! 

 

 

 


1. On pourra s'amuser à noter quelques petits détails particulièrement significactifs : une des cordes du luth est cassée, le livre ouvert l'est à la page du cantique de Martin Luther « Viens Esprit Saint inspirer nos âmes ».

 

2. Ce qu'on appelle un memento mori (souviens-toi que tu es mortel). 

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commentaires

P
<br /> "βλέπομεν γὰρ ἄρτι δι’ ἐσόπτρου ἐν αἰνίγματι, τότε δὲ πρόσωπον πρὸς πρόσωπον· ἄρτι γιγνώσκω ἐκ μέρους, τότε δὲ ἐπιγνώσομαι καθὼς καὶ ἐπεγνώσθην."<br /> <br /> Partez pas, Isabelle ! Ca vient :<br /> <br /> Paul,Corinthiens,I,12<br /> <br /> "Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu."<br /> <br /> Ayant une fois de plus repris grâce à Cele' la piste du peu de réalité, sur mon chemin j'ai rencontré ça :<br /> <br /> http://employees.oneonta.edu/farberas/arth/ARTH214/Ambassadors_Home.html<br /> (yes, English required...)<br /> <br /> qui nuance quelque peu le propos en éclairant le côté Renaissance : le savoir humain n'est pas tout mais on ne le jette pas aux chiens.<br /> <br /> D'où l'idée que nous voyons à l'aide d'un miroir (et pas "à travers le miroir" comme parfois mal traduit, et qui est une autre histoire). Un miroir antique, métallique, bref déformant - comme la<br /> cuillère qui permet de voir l'objet ici à terre sans devoir se tordre les cervicales ni tourner l'écran.<br /> Et l'étage supérieur de la table est bourré d'instruments d'optique...<br /> <br /> Par contre le vieil Adam (la Chose), comme tous les morts voit le Christ face à face.<br /> <br /> Patrice, "Through a scanner darkly" (P.K.Dick,Y,x)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> « Après l'homme, le ver ; après le ver, la puanteur et l'horreur. »<br /> <br /> (Méditations de saint Bernard. Le passage comportant cette phrase sert d'épigraphe à un conte cruel de Villiers de L'Isle-Adam)<br /> <br /> <br />
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I
<br /> Raphaël : c'est bien d'écrire en latin, c'est mieux de joindre la traduction. Et citer la source serait instructif. Il faut rebondir PE-DA-GO-GIE. Merci camarade !<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Ca y est, j'ai retrouvé ma loupe ;)<br /> Pas plus de camera obscura que de poil sur ma main (dedans, ça reste à voir...)<br /> <br /> ... comment ça, on n'entend que moi ? Bon, je resors (à boudin)<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Post hominem vermis; post vermem foetor et horror.<br /> <br /> <br />
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