Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 13:14

Bisounours

Le Conseil de classe vu par notre nouvelle équipe de direction

 

 

  Les Conseils de classe du premier trimestre battent leur plein au collège Jean-Baptiste Poquelin ! Je vous invite à pénétrer dans cet univers âpre, plein de tensions,suffocant, sentant la sueur et les larmes.

 

  Nouvelle équipe de direction oblige, ils ont changé ma chanson les règles du jeu, suite à une longue concertation avec les professeurs afin d'impliquer au maximum les équipes pédagogiques dans le process. En fait, pas du tout : nous découvrons presque toutes les nouveautés au moment même du conseil, dans le discours d'introduction du chef dudit conseil. Et c'est pas piqué des hannetons :

 

  • la synthèse1 est déjà faite (du moins dans les conseils de Principal adjoint) ! Ami professeur principal, arrête de te fatiguer ! On s'est fatigué pour toi. Principal adjoint t'a tapé des pavés de 6 lignes directement sur YoupiNotes où il s'adresse à l'élève d'un « tu » sympa et copain-copain pour lui déverser une tripotée de conseils vagues sur le mode « tu dois investir ta réussite en améliorant tes méthodes de travail ». Moi qui croyais que personnel de direction était un boulot ultra-prenant et épuisant, je vois que certains ont du temps pour s'éclater2… En attendant, nous, en conseil, on n'a soit pas le temps le lire la synthèse, soit on ne nous la propose même pas. Conclusion : les profs ne savent même pas quelle est l'appréciation générale mise en bas du bulletin… Un vrai travail d'équipe ! 

 

  • un élève (pardon ! un « jeune »…) pourra avoir simultanément une récompense3 et un avertissement4 ! Si si ! Ils ont osé le faire ! Il faut bien distinguer les Félicitations, qui viennent récompenser un niveau scolaire, i.e. des bonnes notes, et l'Avertissement Conduite, qui lui vient sanctionner un comportement. T'as 15 de moyenne et tu fais chier tout le monde ? Félicitations ! 

 

 

 

  Ce qui est amusant (si j'ose dire), là-dedans, c'est que les rôles sont inversés. Me voilà, chantre de la transmission des savoirs, à défendre bec et ongles l'idée que le comportement incorrect d'un élève est une barrière infranchissable à l'obtention du Graal scolaire ; tandis que Principal Adjoint, nourri aux compétences et aux savoir-être, vient nous expliquer que le comportement ne doit pas être pris en compte dans l'évaluation. 

  Mais en fait, la réalité est toute autre : il s'agit pour moi de défendre une conception exigeante de l'enseignement, qui suppose de la part de l'élève politesse et respect de l'adulte, et qui surtout considère que ça va de soi, et que le fait de s'écarter de ce comportement attendu de tout élève est une raison bien suffisante au fait de le priver de dessert. En face, il s'agit tout bêtement de « valoriser le positif », i.e. de récompenser le + de « jeunes » possibles (et, on le verra, d'en avertir le moins possible) afin d'instaurer l'idyllique cercle vertueux de la pédagogie de la réussite, dans lequel les « jeunes » se mettront à bien travailler et à bien se tenir parce qu'on leur aura préalablement dit qu'ils sont formidables. 

 

  J'ai déjà vu de nombreux élèves faire nettement plus attention à leur comportement quand la jolie médaille leur était passée sous le nez au conseil pour cause de bavardages. J'ai même expérimenté l'année dernière — en tant que professeur principal — la pédagogie du « je ne laisse rien de rien passer » au conseil du deuxième trimestre. Le troisième trimestre avec la classe fut un absolu délice. En revanche, je n'ai pas connaissance de cas d'élèves se mettant soudain à faire attention à leur comportement alors qu'on les a félicités précédemment. Pourquoi changeraient-ils, puisqu'ils ont eu ce qu'ils désiraient ? Pourquoi s'arrêter de bavarder ou d'être insolent quand on vous félicite de ce que vous faites ?

 

 

 

  Quoi qu'il en soit, les règles du jeu étaient ainsi fixées : on récompense sur les notes, et on met tout (récompenses et avertissements) au vote des professeurs. En cas d'égalité, le chef du conseil tranche. Je propose à ce sujet de se passer du chef du conseil et de le remplacer par un programme informatique à la portée du premier geek venu qui effectuera les tâches suivantes :

  • en cas d'égalité sur l'obtention d'une récompense, le « jeune » obtiendra la récompense ;
  • en cas d'égalité sur l'obtention d'un avertissement, le « jeune » ne l'aura pas.

 

  Ça fonctionne dans 100% des cas, garanti !

 

 

 

  Hélas pour lui, le système comporte encore une faille : ce sont toujours les professeurs qui votent5. Et c'est ainsi que nous débattîmes joyeusement du cas d'un élève aux notes tout à fait sympathiques mais dont le bulletin était malheureusement orné de quatre remarques de « bavardages ». Toute la cargaison de bons sentiments dont disposait Principal Adjoint me fut déversée sur la tête, assortie d'arguments étonnants que vous pouvez  retrouver dans la reconstitution pas du tout orientée d'un dialogue entre nous :

 

PRINCIPAL ADJOINT, oui ! il parle beaucoup : Je vous rappelle blablabla nous nous sommes mis d'accord entre nous blablabla bien dissocier blablabla notes blablabla félicitations blablabla passons à l'élève suivant…


MY DEAR COLLEAGUE, what the f… ? : Excusez-moi, Principal Adjoint, mais il me semble que nous n'avons pas voté6


PRINCIPAL ADJOINT, oops ! I did it again… : Mais où avais-je la tête ? Alors je vous rappelle blablabla bien dissocier blablabla notes blablabla félicitations blablabla


M'SIEUR CELEBORN, une seule solution, la manifestation : J'suis pas d'accord avec cette façon de procéder (un développement s'ensuit sur le message qu'on va envoyer à l'élève, sur le fait qu'un tel bulletin n'obtenait rien l'année dernière, et surtout — argument massue — que Principal-en-Chef avait procédé autrement en conseil, « dégradant » de potentielles félicitations en « simples » compliments pour le même type de bulletin).


PRINCIPAL ADJOINT, rien à voir : Oui mais vous savez, au bac, on ne regardera que leurs résultats.


M'SIEUR CELEBORN, en mode La Palisse : Ils ne passent pas le bac, là…


PRINCIPAL ADJOINT, rien à voir au carré : Mais quand ils passeront un examen…


M'SIEUR CELEBORN, bis repetita… : Ils ne sont pas en train d'en passer un, là…

 

 

  Bref, nous mîmes aux voix (après nous être promis d'en rediscuter), et là — collègues je vous aime — personne ne vota les félicitations. L'élève fut « simplement » complimenté, comme un autre après lui (et là, Principal Adjoint n'osa pas sortir de son chapeau les Félicitations).

 

 


  Si on avait prévu une pluie de récompenses, en revanche, on avait organisé la pénurie concernant les avertissements :

 

PRINCIPAL ADJOINT, avec un peu de chance ils ne verront rien : Il conviendra donc de lui dire qu'il doit mieux investir sa réussite en améliorant ses méthodes de travail blablabla passons à l'élève suivant :

 

M'SIEUR CELEBORN, 1-2-3 Soleil, t'as bougé !  : Avant cela, ma collègue d'Histoire-Géographie et moi-même envisagions la possibilité d'un Avertissement Travail ET Conduite7.

 

 

… Avertissement qui fut mis. 

 

 

 

Si l'on rajoute à cela l'injure suprême que j'ai commise en MODIFIANT mon vote afin qu'un élève qui ne me posait pas de problèmes obtînt un avertissement (car la discussion que nous avions eu avait montré qu'il le méritait bien, tout bêtement), là, je crois que je me suis fait un nouvel ami.

 

  J'ai bien conscience de l'aspect légèrement ridicule de cet article pour le lecteur non-averti : qu'est-ce que c'est que ces adultes qui en viendraient presque aux mains pour un mot symbolique qu'on colle ou non sur le bulletin d'un gamin de 12 ans ? N'ont-ils rien de plus sérieux à faire ?

 

  À cela, je réponds que c'est très sérieux : ces « petits riens » sont la traduction d'une idéologie globale qui peut conduire un établissement scolaire vers la bordélisation généralisée de ses couloirs et de ses salles de cours en moins de temps qu'il n'en faut pour dire « fermeté ». Ces « petits riens » comptent pour les élèves, qui y attachent une valeur que nous ne concevons plus, nous, adultes. À travers cette discussion de bouts de chandelle, c'est en fait à l'affrontement de deux visions pédagogiques que nous assistons. Je tiens à la mienne, que j'estime meilleure que l'autre. Je me bats donc pour elle. 

 

 

 

 

 

BONUS (généreusement offert) : toi aussi, décrypte les apophtegmes de nos chefs en conseil de classe !

« Elle n'a pas investi sa réussite » → Résultats insuffisants

« Les Mathématiques doivent montrer la voie de la réussite » → Résultats insuffisants, sauf en maths    

« Ça me paraissait réfléchir assez bien le jeune » → Elle est jolie, mon appréciation, non ?

 

 


1. Traditionnellement chez nous, le professeur principal de la classe proposait une synthèse après avoir brossé à grands traits le portrait de l'élève. Cela permettait d'avoir une image assez juste, d'autant plus que c'était quelqu'un qui avait l'élève en cours qui en parlait. Là, nous eûmes le droit à un quiproquo légèrement nauséabond à propos d'un élève à la moyenne de français abyssale et dont le nom révélait des origines exotiques. Principal Adjoint se lança dans un grand discours sur la nécessité d'acquérir les bases pour les jeunes qui ne maîtrisaient pas bien la langue. Pas de bol : le « jeune » en question est Français, parle français chez lui et maîtrise tout à fait correctement la langue française. En revanche, il ne fout rien. Comme quoi, quand on ne sait pas, mieux vaut se taire et laisser parler ceux qui savent.

 

2. Que les personnels de direction lecteurs de mon blog ne le prennent pas mal. Je crois que la majorité d'entre eux fournit effectivement un gros travail. Là, pour le coup, je pense que le temps serait mieux occupé à faire d'autres choses dont notre collège a besoin…

 

3. Par ordre décroissant : les Félicitations, les Compliments, les Encouragements.

 

4. Sans ordre aucun : l'Avertissement Travail, l'Avertissement Conduite, l'Avertissement Travail ET Conduite.   

 

5. Nul doute qu'une solution sera rapidement trouvée pour remédier à ce « léger » défaut du système…

 

6. Il n'aura donc pas fallu longtemps pour trouver une solution au problème mentionné dans la note de bas de page n°5. Simple et élégant, isn't it ?

 

7. Nos conseils de classe étant généralement agrémentés de petites choses à manger et à boire apportées par le Professeur Principal, il va falloir surveiller ses temps de mastication. Un Petit Écolier8 pas assez vite avalé, et c'est une sanction qui disparaît. À chaque fois qu'un professeur dit « je reprendrais bien du jus d'orange », il y a quelque part un Avertissement Travail qui meurt. 

 

8. Je parle du gâteau, évidemment…

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Q
Malheureusement, ça me rappelle des souvenirs...
Répondre
R
tres juste...qu'ils sont cons ces technocrates...ca se voit qu'ils ne sont pas en cours avec les élèves...<br /> continue comme ca D
Répondre
M
<br /> Et encore, mettre les compliments par défaut à un élève qui mériterait les félicitations me semble une défaite. Dans mon collège, et ce fut une lutte acharnée, nous avons obtenu que les élèves<br /> n'aient RIEN (pas encouragement, compliments, ficelles de caleçon) s'il y avait des remarques négatives sur leur comportement dans le bulletin.<br /> Non mais !<br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> Hé hé hé... On a vécu la même chose! Serait-ce la dernière mode?<br /> <br /> <br />
Répondre
W
C EST TRéS BIEN !
W
C EST TRéS BIEN !
W
C EST TRéS BIEN !
P
<br /> Tu as bien investi ta réussite, Céléborn! Cet article est aussi désespérant qu'hilarant!<br /> <br /> <br />
Répondre

Présentation

  • : Je suis en retard
  • : Un professeur pas toujours à l'heure analyse le pays des merveilles dans lequel il est tombé. Réformes, administration, parents, élèves, collègues, formateurs : Lewis Carroll n'a qu'à bien se tenir !
  • Contact

Devenez follower !

Pages