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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 21:04

wonder

 

  Avant toute chose, joyeux lecteur, festive lectrice, le taulier tient à présenter ses excuses pour cette période de silence radio. Une activité syndicale chargée combinée à une toux non moins chargée m'ont tenu éloigné de ce blog durant le mois de décembre. Mais la nouvelle année et les bonnes résolutions aidant, voici le premier article de 2013 consacré à un sujet léger, pétillant, ludique : la séquence pédagogique !

 

  Non, revenez, ça ne va pas être aussi ennuyeux que ça en a l'air !

 

  Tout a commencé sur le blog de Luc Cédelle (journaliste au Monde) qui a abordé la chose de façon peut-être un peu légère. Je me permets donc une mise au point sur l'enseignement du français au collège, qui a subi bien des malheurs.

 

  Au commencement, il y eut la séquence pédagogique (vers la fin des années 90). Quelque chose qui est tellement passé dans les mœurs qu'aujourd'hui, un professeur parlera de sa « séquence » même s'il n'enseigne pas en séquences. 

 

  La séquence, qu'est-ce ?1 C'est le fait de se choisir un objet d'étude — ça peut aller de tout à n'importe quoi, en passant par la pile Volta2 — et de traiter toutes les composantes de la discipline en fonction de cet objet d'étude (on pourrait même dire « en les subordonnant à cet objet d'étude »). On fera donc de la grammaire en fonction de ce qu'on étudie, du vocabulaire lié à ce qu'on étudie, de l'écriture sur ce qu'on étudie, de l'orthographe avec ce qu'on étudie, de l'oral… bref, vous avez compris. Le tout tiendrait sur une période de 3 à 4 semaines (parfois moins, rarement davantage)

 

  À première vue, ça a l'air plutôt intéressant et même stimulant intellectuellement pour les collègues comme pour les élèves : on y gagnerait en cohérence disciplinaire ; la grammaire (pardon : les « outils de la langue ») seraient mis en contexte et serviraient à la compréhension globale du sujet traité. Enfin, le français « ferait sens ».

 

  Sauf que ça n'a pas du tout marché3

 

  Le principal écueil de la séquence pédagogique est que l’on demandait aux collègues de faire des ensembles effectivement stimulants intellectuellement, mais dans lesquels la langue était souvent passée par pertes et profits. En effet, le nombre d’heures qui y était effectivement consacré était la plupart du temps très léger (une séquence cherchant souvent à faire entrer un nombre de choses bien trop important au regard de sa durée globale), et quand on était en retard, on sabrait habituellement davantage dans les exercices d’application de langue que dans la belle étude transversale. Ajoutons à cela que les notions risquaient très fortement d'être survolées. Ainsi, dans notre séquence sur la pile, Madame la Doyenne fait tenir en 10 heures (sachant qu'elle y fait déjà trois lectures méthodiques et une étude de texte) l'énonciation, préfixes et suffixes, les valeurs du présent (certaines d'entre elles du moins), la forme impersonnelle et la voix passive. Quiconque a enseigné la voix passive à des élèves de collège sait que ça prend du temps. Quiconque d'honnête a enseigné la situation d'énonciation en collège sait que c'est horriblement compliqué, et ce pour un intérêt quasi nul à l'arrivée. Bref : quiconque prétend faire de la grammaire un peu sérieusement doit se rendre compte que ce qui est proposé est tout simplement délirant.

 

  S’ajoute à ce sérieux problème que les cours de langue étaient faits EN FONCTION de l’objet d’étude (Homère → paf les adjectifs ; le texte explicatif → paf le présent de vérité générale) et non en fonction d’une progression grammaticale cohérente au cours de l’année. Ce qui fait que la grammaire prenait un aspect extrêmement ponctuel (voire pointilliste), et, dans le pire des cas, incohérent. Dans cette lumineuse séquence sur la pile, chacun conviendra que la voix passive s'accorde peu avec les affixes, qui eux-mêmes n'ont rien à voir avec l'énonciation, qui elle-même se moque plutôt bien de la forme impersonnelle (notons pour les spécialistes que traiter simultanément de la voix passive et des formes impersonnelles relève du plus haut comique, puisque les formes impersonnelles ne sont jamais à la voix passive4). Faire la grammaire au fil de ce qu'on trouve dans les textes étudiés était le plus sûr moyen de déconstruire toute logique d'ensemble dans l'enseignement de la langue, et ça n'a pas raté. Les séquences pouvaient joyeusement s'intervertir, et les points grammaticaux qui y étaient associés suivaient le mouvement dans la joie et la bonne humeur.

 

  En fait, chaque séquence avait tendance à être extrêmement repliée sur elle-même (et donc cloisonnée), et un point étudié pour telle séquence pouvait facilement ne plus resservir du reste de l’année (et être donc très vite évacué par les élèves). Quand on conçoit sa progression grammaticale comme un tout cohérent sur l’année, on a tendance à éviter nettement plus facilement ce problème.

 

  Cerise didactique sur le gâteau pédagogique : les programmes de français d'avant 2008 IMPOSAIENT la séquence pédagogique comme manière unique d’enseigner. Comprenez qu’on n’avait pas le droit de faire autre chose, et tous les inspecteurs l’ont dit et redit sur tous les tons. Des collègues (dont je fais partie) ont été hors-la-loi en refusant de pratiquer la séquence (au nom d’une liberté pédagogique bien mise à mal par des programmes qui ne se contentaient pas de définir les objectifs à atteindre, mais définissaient également une méthode obligatoire pour y accéder). Et je ne pense pas que mes collègues me contredisent beaucoup si je dis que, lors des réunions sur les nouveaux programmes de 2008, la majorité des IPR5 a continué à chanter l’air de la séquence sur le mode « le mot a disparu des programmes, mais l’esprit demeure ». J'ai passé en ce qui me concerne un merveilleux après-midi à m'entendre expliquer que la séquence pédagogique guidait les nouveaux programmes de français quand bien même le mot avait totalement été écarté desdits programmes. Et conclusion, aujourd'hui, l'immense majorité des collègues de lettres continue de pratiquer la séquence pédagogique alors qu'on peut très bien faire autrement. Il faut dire que lorsque vous n'avez été formé qu'à une manière d'enseigner présentée comme l'alpha et l'oméga de votre profession, vous hésitez à remettre en cause ce qu'on vous a aimablement fourré dans le crâne. 

 

  Or les faits sont têtus : le niveau de maîtrise de la langue des élèves est en chute libre (et là, pas besoin de remonter à 1910 : ça se voit très bien dans toutes les études menées sur ces 30 ou 40 dernières années), chaque dictée est un calvaire, chaque fonction grammaticale une énigme, et même les conjugaisons les plus basiques sont régulièrement massacrées. Tout ne provient évidemment pas de la séquence pédagogique, mais avouons-le : cette manière d'enseigner a contribué et contribue encore grandement au désastre (et mes collègues enseignant le latin, le grec ou l'allemand n'ont que leurs yeux pour pleurer).  

 

  Chers collègues, pourquoi ne pas faire comme votre serviteur, et tenter de voir ce que ça donne, une progression grammaticale autonome, pensée en amont avec logique, étalée sur un nombre d'heures dédiées suffisant6 ? La grammaire n'est pas un outil, pas plus qu'elle n'est un accessoire : elle est une science qui a sa logique, son fonctionnement propre, et qui peut se révéler passionnante quand on veut bien lui laisser sa chance. En 2013, osez la grammaire, et dites non à la séquence pédagogique ! 

 

 


1. À répéter 10 fois très vite. 

 

2. J'ai l'air de plaisanter, mais en fait c'est très sérieux ! La doyenne de l'Inspection de Lettres de l'époque avait proposé comme exemple de séquence un travail sur la pile Volta en classe de 4e pour traiter du « texte explicatif ». Vous pouvez retrouver ce petit bijou de didactique ici.

 

3. Entendons-nous bien : il y a des collègues qui s'en sortent avec la séquence pédagogique. Généralement, ils réussissent à ne pas faire de concessions sur les contenus et sur l'enseignement de la grammaire. Il faut pour ce faire beaucoup d'expérience, et même je dirais un talent certain. À mon sens, il est beaucoup plus facile d'arriver au même résultat SANS la séquence pédagogique. 

 

4. En gros, « il est plu » ou « il sera fallu », ça n'existe pas. 

 

5. Inspecteur Pédagogique Régional

 

6. Pour vous donner un ordre d'idée, je fais 3h de langue en 6e (sur 5h), 2h en 5e et 4e (sur 4 heures) et 2h30 en 3e (sur 4h30).

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commentaires

B
Happy new year to you too. All the stories that you give here are so realistic.tis type of things happen with me too. This is written on the everyday basis and that makes it different from all others.
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P
Heu... Al.... J'espère que votre vœux pieux d'expliquer au professeur de votre enfant comment s'y prendre est une plaisanterie....Feriez-vous de même avec votre médecin ou votre garagiste ? Cela<br /> dit, si vous voulez des conseils d'approche, je veux bien moi aussi vous aider (mais encore faudrait-il savoir de quoi il est réellement question), j'officie dans le primaire alors je pense savoir<br /> de quoi je cause. Cher Celeborn, comment faire pour échanger des points de vue en privé avec un tiers?<br /> Sinon, ben dans un com plus haut, un contributeur aura confondu "progression" avec "séquence pédagogique". Mais à force d'user et d'abuser de soi-disant nouveautés pédagogos qui ne sont que des<br /> caches-misères, on peut effectivement être amené à systématiquement jeter l'eau du bain avec le bébé et la crémière avec, par ras le bol bien compréhensif de la novalangue mammouthienne. En<br /> attendant, le refondation est en train de passer uniquement par le primaire, et ça risque, une fois encore, de faire "pshiiit", même si l'administration vient de promettre de nous lâcher un peu la<br /> grappe en terme d'exigences institutionnelles (flicage permanent, tableaux excel, et j'en passe). Bilan : toujours plus de gamins à la ramasse, et on ne se pose toujours pas la question des<br /> contenus, de la formation des enseignants, et encore moins celle des bouleversements sociaux et technologiques. Il serait peut-être temps de se demander pourquoi des gamins de 9 ans ont une mémoire<br /> de poisson rouge et un vocabulaire n'excédant pas 300 mots.....
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A
Celeborn,<br /> <br /> C'est fait, depuis quelques jours d'ailleurs. Avez-vous bien reçu mon message ?
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S
La Doyenne des Inspecteurs est surnommée depuis Wonder Woman, elle est vraiment à la masse...Vous avez raison Celeborn de réagir: Un prof se ré-Volta, il ne pouvait rester neutre...
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P
Si les profs de lettres se mettent à faire les cours de physiques, on n'a pas fini de nous supprimer des postes...
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  • : Un professeur pas toujours à l'heure analyse le pays des merveilles dans lequel il est tombé. Réformes, administration, parents, élèves, collègues, formateurs : Lewis Carroll n'a qu'à bien se tenir !
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