(Petite piqûre de rappel ici.)
Cette année, au collège, on a changé la forme, mais pas vraiment le fond.
Conseil pédagogique joyeux et primesautier ce soir, qui, après sept heures de cours (bon, en fait, j'avais mesquinement prévu quelques contrôles, ha ha ha !), vient comme la récompense ultime de cette belle et dure journée de labeur. Autour d'un jus de raisin et de Petits Beurres (le vrai !), la question qui nous taraudait évidemment tous : comment mettre en place l'enseignement de l'histoire des arts1 ? Après présentation du PDF d'Éduscol (qu'on nous promet de nous afficher ET de nous envoyer… mais bon, on nous l'a lu quand même…), après diverses divagations émues sur la beauté de la chose de la part de notre principal adjoint dans le genre…
« une culture personnelle à valeur universelle »… Moi ça m'a touché !2
… et après proposition de moults activités potentielles, partenariats possibles et projets communs envisageables avec notre environnement local — car l'histoire des arts, il faut la « trouver dans notre environnement local », chez le paysagiste du coin, dans le musée du carreau en faïence du canton ou à la fête bisannuelle de la chaise en rotin organisée dans la grand'rue du village — on a pu exprimer notre ressenti, nos angoisses, nos désaccords en toute sérénité — et même avec la bénédiction de not' chef, très à l'aise dans le rôle du « je suis du même avis que vous, mais que voulez-vous, on est bien obligé de faire quelque chose ».
C'est très frustrant, d'ailleurs. Tout d'abord parce qu'il est fort possible qu'il ne mente pas — et autant on a du plaisir à gueuler sur le méchant tyran aux yeux rouges envoyé du ministère, autant c'est plus dur de se mettre en train face à quelqu'un qui vous comprend — ; ensuite parce que ça coupe tous vos effets scéniques — et ma « liberté pédagogique », alors, comment vais-je donc la mettre en valeur, moi, maintenant ?
Heureusement, en troisième partie, la direction nous a proposé sa solution miracle — qu'elle avait depuis le départ d'ailleurs, mais c'est mieux de faire patienter le chaland et de le laisser s'épuiser avant de le cueillir tout fourbu avec votre système vendu clef-en-main.
Un cahier.
Oui, c'est ça, la solution miracle. En fait, quand on fait en cours quelque chose qui a vaguement trait (même de très loin, même en EPS, même en maths) à l'histoire des arts, paf ! dans le cahier d'histoire des arts.
Et voilà le travail. L'élève conserve le cahier durant ses quatre années3 au collège — sans le perdre bien entendu (et là, on y croit tous) — l'enrichit lui-même au gré de ses visites et expériences personnelles, le décore, laisse ses parents faire du scrapbooking dessus et le remplir à sa place au passage… Bref, une solution formidable pour résoudre un problème qui n'en a de toute manière pas de bonnes. Devant l'argument spontané qui m'est venu sournoisement4 à la bouche (« ségrégation sociale »), le principal répond qu'on ne traitera pas de la même manière les élèves dont on sait que la situation familiale ne permet pas aux parents de consacrer une grande part de leur maigre temps de loisirs au scrapbooking (et plus sérieusement5 à la visite de musées autres que celui de la pomme de terre en robe des champs, ou à l'achat de places de théâtre pour voir une pièce classique le mercredi soir plutôt qu'« Incroyables Talents » sur M6). Ne voulant lancer le débat sur l'égalité républicaine, je me suis retenu de demander si on devait ajouter 1 point par enfant dans la famille au-delà du troisième, ou si un parent au SMIC apportait un bonus. J'ai préféré considérer que c'était une idée lancée dans le feu de l'action et pleine de bons sentiments6.
De toute manière, on s'est surtout mis d'accord sur le fait qu'il fallait que les profs en reparlent entre eux pour qu'ils se mettent d'accord pour qu'une délégation de profs aille ensuite voir la direction pour se mettre d'accord. À moins qu'on se mette d'accord au prochain conseil pédagogique7, en fait. Et pour reconduire le système de l'année dernière pour les 3e de cette année, qui n'auront pas 4 ans pour scrapbooker.
Rappelons que l'épreuve d'histoire des arts compte pour l'obtention du DNB8, à hauteur d'une note sur 20 coefficient 2 (oui oui, coefficient 2 !). Le scrapbooking, ça paye !
1. Amateurs de pratiques contre nature perpétrées sur d'innocents diptères, ceci est pour vous : « L'histoire des arts est un enseignement, pas une discipline ». Je vous laisse méditer…
2. Personnellement, ça m'inquiète plutôt, cet objectif, ayant toujours vu l'école comme transmettant une culture universelle à valeur personnelle. Comme quoi, l'ordre des mots, tout ça…
3. Encore une preuve qu'on ne tient vraiment pas à faire redoubler les élèves !
4. Oui, je peux être sournois même dans ma spontanéité !
5. Encore que…
6. Ma gentillesse me perdra un jour.
7. Faites-moi penser à vous dire un jour tout le mal que je pense de cette institution bâtarde nommée « conseil pédagogique », au fait.
8. Diplôme National du Brevet. « Le truc qui sert à rien, comme les boules à neige », dixerunt les Zrofs.