Projet de nouveau programme de littérature en Terminale (allégorie)
Un titre de bon goût pour une réalité de très, très mauvais goût. La réforme du lycée avançant, bientôt, ce sont les élèves de Terminale qui vont voir fondre sur eux de nouveaux programmes, dont les projets sont tous plus déprimants les uns que les autres. Une analyse rapide de la situation permet de mettre au jour plusieurs contradictions dans la réforme que nous subissons et qui est, de loin, ce que le gouvernement actuel a fait de pire :
La différenciation des séries
C'est l'un des chevaux de batailles de cette réforme : la L doit être littéraire, la S doit être scientifique… Les horaires des matières scientifiques en séries S ont donc… diminué. L'horaire de français/littérature en série L a donc… diminué. Supprimer l'histoire-géographie en Terminale S ne permet pas d'affirmer que, soudainement, la série S est davantage recentrée sur les sciences. Elle est simplement mutilée d'une part de son aspect généraliste, sans contrepartie scientifique, au contraire. Quant à la série Littéraire, introduire une option droit (dont nous allons reparler) en concurrence avec les autres options ne la rend pas plus lisible ni "revalorisée", bien au contraire.
L'interdisciplinarité
Le concept au nom duquel on fait n'importe quoi. Sans une fois encore rappeler qu'une réelle interdisciplinarité n'est praticable qu'à partir du moment où les disciplines concernées sont correctement maîtrisées, on s'étonnera devant le paradoxe suivant : la revendication d'interdisciplinarité conduit à une atomisation du savoir. Auparavant, on faisait en Terminales L des lettres (en cours de lettres) et des langues (en cours de langues). Désormais, on fera des lettres (mais moins), des langues (mais moins) et de la « littérature étrangère en langue étrangère » ! Potentiellement avec un autre professeur, donc, et avec en tous les cas un programme réservé à la chose. Grâce à l'interdisciplinarité, une nouvelle discipline ! On avait déjà mixé les lettres et l'histoire pour faire de la bouillie de la « littérature et société » ; ça n'a rien donné : on recommence donc ! À force d'échouer, on va peut-être finir par réussir, qui sait ? En attendant, les élèves apprécieront cette nouvelle matière au programme tellement nébuleux que le professeur pourra traiter tout, son contraire, rien, ou même, avec un peu de chance, quelque chose. Mais quelque chose d'autre que son collègue du lycée d'à-côté. On pourra trouver inquiétante la multiplication de programmes affichés comme nationaux mais dont les contenus laissent à chacun la possibilité arbitraire de faire des choix, y compris des mauvais choix. Cela est également le cas en histoire-géographie, matière dans laquelle votre enfant, en salle 12 avec Madame Machin, ne traitera peut-être pas les même notions que l'enfant qui se trouve en salle 13 avec Monsieur Bidule.
Les programmes
Ils sont frais ils sont beaux, mes programmes ! En fait, ils sont surtout putassiers et indigents. Une véritable initiation au droit paraissant hors de question, on se contentera de proposer une option « droit et grands enjeux du monde contemporains » où il ne faudra pratiquer que la « démarche inductive » sur des thèmes dont la cohérence juridique pourra échapper aux vrais juristes. Mais bon, tant que « le sexe et le droit » fait saliver nos lettreux, pourquoi s'embarrasser avec un véritable enseignement du droit ? Quant à l'aspect logique et rigoureux du droit, il sera tout de suite renforcé par le fait qu'on ne pourra conjuguer cette option avec l'option Mathématiques. De toute façon, en option Maths, en L, on a banni le raisonnement puisque l'on ne fait plus que des maths appliquées, alors ce n'est peut-être pas une si grande perte.
Au rayons des choses qui ne sont peut-être pas de si grandes pertes que cela, parlons de la disparition de l'Histoire-Géographie en Terminale S. Choquant ? Accablant ? Consternant ? Révoltant ? Avant de vous enchaîner aux grilles du lycée, regardez les programmes en ES et en L, et pleurez un bon coup. La mondialisation vous paraît un concept mille fois rebattu ? Attndez un peu de la traiter à travers le cas (imposé) du… football ! Si si ! « le football, entre mondialisation et ancrage dans les territoires (étude de cas) » : c'est dans le programme de géographie ! Le même programme dans lequel on commence l'année par la question « des cartes pour comprendre le monde », qui consiste à faire de la critique de cartes juste pour le plaisir de faire de la critique de cartes. On y est enfin : on s'intéresse désormais uniquement à l'outil de représentation et non à ce qu'il représente. On a fini par évacuer complètement le savoir !
Du côté de chez Swann l'histoire, ce n'est guère mieux, et la chronologie est encore passée par pertes et profits ! On commencera ainsi par la « lecture historique du patrimoine d'un centre urbain ancien » (au choix Paris, Rome ou Jérusalem, qui ont un patrimoine similaire du point de vue historique, c'est bien connu…) avant d'étudier « l'historien et les mémoires » (non non, on n'étudie plus l'histoire, on étudie désormais l'historien !) à l'aide de la Seconde Guerre Mondiale ou de la Guerre d'Algérie (au choix !). Après s'être intéressé à « religion et société » depuis 1880 aux USA ou en Russie, on croisera la culture ouvrière au Royaume-Uni dans les années 80, les médias en France depuis 1890 et l'État-Nation en France depuis le XIIIe siècle ! Oui, dans cet ordre ! Le savoir historique est complètement déconstruit ; on papillonne à droite à gauche — un thème par-ci, un pays par-là — et surtout l'on ne fait, une fois encore, pas la même chose que son voisin, puisque certains parleront de Rome, de 39-45 et des USA tandis que d'autres verront Jérusalem, la guerre d'Algérie et la Russie.
J'ose à peine à ce moment évoquer les programmes d'ECJS1 — grâce auquel on pourra créer une intéressante passerelle avec celui de géo puisque l'on y croisera « la violence et le sport ». On y trouve tous les ingrédients pour mener des débats fumeux sur l'actualité, mais sans les connaissances pour que le débat serve à quoi que ce soit. On baragouinera ainsi sur la bioéthique (mais sans faire de biologie en L et en ES), l'argent (mais sans faire d'économie en S et en L) ou encore l'immigration. Ça promet des grands moments d'écoute et de respect mutuel dans les salles de classe…
Au final, si l'on ne devait en retenir qu'un, l'on retiendrait le programme de Littérature en L2. En effet, on y a tout simplement supprimé la littérature. Passons sur le fait qu'il n'y ait plus que deux thèmes car il n'y a plus que deux heures (en lieu et place de quatre thèmes et quatre heures auparavant). Ce qui est proprement scandaleux, ce sont les thèmes en question ! Dites adieu aux « grands modèles littéraires » ou au thème « littérature et débat d'idées », et bienvenue aux deux thèmes suivants (les deux seuls, donc) : « littérature et langages de l'image » et « lire-écrire-publier ». Non, je ne plaisante pas. Il n'y a officiellement plus d'étude de la littérature en cours de Littérature : on n'y étudiera désormais plus que son rapport à l'image et le processus de création et commercialisation des œuvres littéaires. Les mythes ? Les courants littéraires ? La beauté du texte ? L'engagement ? La recherche esthétique ? La critique sociale ? Le style ? Oubliés. Disparus. Annihilés. Vaporisés. Trou noir. Néant. Vide. Prout.
Je vous souhaite une bonne fin de journée !
1. Éducation Civique, Juridique et Sociale. Le truc bien-pensant qu'on nous a désormais collé à tous les nivaux, et qui n'en peut plus de dégobiller à tous propos les mots « respect », « tolérance », « débat » et « citoyenneté », quand il n'en vient pas à cette horreur suprême : faire de « citoyen » un adjectif qualificatif.
2. En fait, je retiens aussi celui-là car je ne maîtrise pas bien les changements dans les programmes de maths ou de SES. N'héitez pas à les commenter juste en-dessous de cet article !