Eh oui, c'est bientôt l'heure de s'y remettre. Afin de reprendre en douceur, je vous propose donc une petite mise au point sur LA grande question sur le métier de professeur : faut-il des professeurs qui connaissent leur discipline, ou des professeurs qui soient de bons pédagogues ? Faut-il recruter sur les savoirs ou sur la pédagogie ?
Les deux, me direz-vous, joyeux lecteurs, primesautières lectrices, et vous aurez raison. Mais ça, c'est bien beau dans la théorie. En revanche, dans la pratique, ça a donné naissance à quelques monstres…
Nous sommes depuis un bon moment dans une posture idéologique majoritaire dans notre institution, qui considère que la pédagogie prime sur les connaissances. On en a eu de magnifiques illustrations dans un certain nombre d'IUFM1, notamment lors des journées de « tout le monde regroupé ensemble ». Cela allait généralement de pair avec le fait que l'élève construisait ses savoirs, et que le professeur n'était pas tant le détenteur du vrai que l'accompagnant de la démarche de l'élève. À partir de cette conception, forcément, ce qu'il fallait, c'étaient des pédagogues et non plus des connaisseurs. Je vous passe tout le développement des sciences de l'éducation à l'université, qui repose très largement sur ce principe. Le but n'étant pas tant d'enseigner que d' « apprendre à apprendre », et pour ça, il ne faut finalement rien d'autre que la « pédagogie ».
C'est là qu'il y a une forte divergence d'opinion, entre (je schématise) ceux pour qui la pédagogie serait une science (ce n'est pas moi qui ai inventé l'expression « sciences de l'éducation ») et ceux pour qui elle est quelque chose qui se rapproche davantage de l'art, voire de l'artisanat. Beaucoup de « pédagogues » ne vont évidemment pas vous dire qu'il ne faut aucune connaissance, mais dans toute discussion sur le sujet avec ces personnes, la question des savoirs est généralement balayée d'un formule type « Bien sûr, les connaissances c'est important, mais on devrait également se préoccuper de... ». Et plus jamais on ne reparlera des connaissances, de comment on les acquiert, les entretient, etc. Après tout, ces gens ont une licence/un master, alors c'est bon, les connaissances, ils les ont ; occupons-nous plutôt de pédagogie (cette logique, quand elle est poussée, peut aller jusqu'à viser à la suppression des concours, ou à ce qui se produit depuis un petit moment, à savoir des épreuves qualifiées de « didactiques », qui ressemblent parfois à du métier-fiction, et qui sont davantage coefficientées que la bonne vieille dissert').
Or la pédagogie vue par l'institution, ça a souvent été de l'idéologie, tout simplement du fait que les personnes dans l'institution croient à cette idéologie. Ce n'est pas comparer les pédagogies, mais asséner UNE pédagogie. D'où une réaction qui n'a rien de surprenant de se méfier de la « pédagogie » (chat échaudé craint l'eau froide) pour s'appuyer sur une chose qui, en plus d'être une condition sine qua non, présente une certaine neutralité : les connaissances disciplinaires. On sait ce que c'est, on sait les enseigner, on sait les évaluer (globalement). Tandis que la « pédagogie », c'est un lieu de débat, de forte incertitude (qu'est-ce qui est efficace et qu'est-ce qui ne l'est pas, finalement ?), et donc de forte idéologie.
À mon sens, la pédagogie se développe bien davantage par la pratique, par l'échange avec les pairs que par l'étude théorique. Ça pourrait se développer par l'étude théorique si l'on faisait vraiment de l'étude théorique, mais ce n'est pas, une fois encore, ce que fait généralement l'institution quand elle parle de pédagogie : elle impose, et, pour le dire clairement, elle endoctrine. D'où la préférence que marquent certains dont mon organisation syndicale2 pour la dimension pratique de la pédagogie sous forme de stages d'observation, de pratique accompagnée mais pas toujours accompagnée par la même personne, etc.
Reste la question pédagogie/didactique. Oui, je crois qu'il existe un champ didactique disciplinaire (en gros, on n'enseigne pas l'anglais comme les maths ou le sport). Celui-là aussi a été et est toujours très fortement marqué par des conceptions idéologiques (la « séquence pédagogique », par exemple, dont le nom montre bien que cette distinction n'est pas très claire d'ailleurs). D'où là encore de gros doutes quant à ce que donne une formation institutionnelle à la didactique. Non pas qu'il ne faille pas s'intéresser à cette question : c'est exactement ce que nous faisons sur le forum Néoprofs quand nous réfléchissons à l'enseignement de la grammaire, à la question cloisonnement VS décloisonnement. Mais ce ne sont hélas pas des échanges qui se présentent habituellement quand la chose est traitée de façon institutionnelle, où là encore il s'agit d'imposer la doctrine (quitte à changer régulièrement de doctrine). D'où là aussi l'attachement de mon organisation à la « liberté pédagogique », qui permet au moins à chacun (y compris à ceux qui ne sont pas d'accord avec nous) d'organiser son enseignement comme il l'entend. Et que d'aucuns voudraient supprimer au profit de leur seule façon de faire, et ça, ce sont des choses que j'entends en réunion, par exemple l'OBLIGATION de travailler en équipe soutenue par certains3.
Finalement, le problème, ce n'est pas la pédagogie (ou la didactique) : c'est la façon dont ces domaines sont traités par l'institution (et par la « recherche4 » universitaire consacrée). C'est ce qui pousse beaucoup de collègues à revendiquer leur attachement à leur discipline et à leurs connaissances disciplinaires, pour un certain nombre de raisons :
- elles sont plus difficiles à remettre en cause (alors qu'on peut toujours ne pas être pédagogiquement « conforme ») ;
- elles sont un élément d'autorité (au sens d'autorité scientifique) car elles sont reconnues par des choses auxquelles on attribue une valeur (qui attribue une valeur à une thèse en sciences de l'éducation, sérieusement ?). Et ça, c'est très important, car ça justifie le salaire, le recrutement sur concours, etc.
- elles sont un prérequis indispensable AVANT de commencer à enseigner. Pour le dire vite, la pédagogie, ça peut quand même en grande partie s'apprendre sur le tas pour beaucoup de monde à partir du moment où l'on est ouvert, observateur et capable d'écoute et d'échange (insérer ici le traditionnel contre-exemple de l'agrégé brillant qui ne s'en sort pas face à ses classes, que l'on retrouve toujours à un moment dans cette discussion). La maîtrise de sa ou de ses disciplines, non.
Ainsi, on est bien d'accord que la question n'est pas d'opposer les choses, mais plutôt de défendre le domaine du savoir qui s'en est quand même pris plein la figure (facile de dire qu'il faut + de pédagogie sans pour autant renoncer à une solide formation disciplinaire, sauf que dans les faits, on y renonce déjà de + en +, à commencer par les professeurs des écoles) au nom de recherches, de théories dont rien ne prouve qu'elles ont amélioré les choses5 . Disons que j'ai l'impression que les savoirs, c'est quand même du solide, alors que la pédagogie en tant qu'ensemble rationnel constitué, c'est bien vague et bien flou.
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1. Institut Uni… bref, vous commencez à connaître, non ?
2. Le SNALC, pour ceux qui l'ignoreraient encore.
3. Je suis gentil, je ne donne pas de noms !
4. Avec beaucoup, beaucoup, et même beaucoupbeaucoup de guillemets.
5. si l'on me demandait mon avis, je penserais même plutôt l'inverse