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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 21:21

 

 

  J'interromps la série de témoignages de stagiaires car une lettre d'une collègue a été récemment portée à ma connaissance ; une lettre terrible. Cette collègue, Claire-Hélène, qui enseigne à Paris, m'a autorisé à la reproduire ici, pour que les gens sachent quelle situation elle et ses collègues vivent. Je la reproduis donc, sans commentaires : je crois qu'elle est, hélas, trop explicite.

 

 

 

 

  Monsieur le proviseur,

 

    Les conditions dans lesquelles nous sommes contraints d'exercer notre métier ne sont pas tolérables. La semaine dernière, deux collègues ont été agressés physiquement par des élèves, élèves qui n'en n'étaient pas à leur premier coup d'éclat et dont la surenchère dans l'agressivité et la violence à l'égard des adultes n'était que prévisible. Ces incidents, très graves, ne sont que la conséquence du climat délétère qui règne dans l'établissement : incivilités, refus d'obéissance, insultes, violences à l'égard des adultes se sont banalisés au point que les élèves, se sentant dans une situation de toute puissance, n'ont même plus conscience de la gravité de leurs actes. Un tel désordre règne dans les escaliers et les couloirs, qu'il nous est impossible de circuler sans être bousculés, raillés, invectivés, les bagarres y éclatent plus que quotidiennement. Cette situation de violence tant physique que verbale ne devrait pas être.

 

    Pour ma part, je refuse de continuer à être traitée comme une chienne par des enfants à qui j'ai eu le malheur de demander de retirer leur casquette, d'aller se ranger dans la cours ou de me donner leur carnet de liaison. Je refuse de continuer à assister à la complaisance avec laquelle certains adultes confortent ces enfants dans leurs dérives au lieu de tout faire pour les aider à en sortir. Je refuse de continuer à assister, impuissante, à ce gâchis généralisé, nos élèves les plus fragiles étant les premières victimes de notre incapacité, voire notre réticence, à instaurer les conditions nécessaires à leur apprentissage. Je refuse de continuer à participer de ce spectacle affligeant que nous offrons quotidiennement à nos élèves et qui me fait honte.

 

    Qu'en est-il de l'application de l'article 11 de la Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires - « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.  » - alors que quotidiennement notre intégrité morale et physique est menacée quand elle n'est pas bafouée ?

    Qu'en est-il de nos devoirs envers nos élèves, de notre mission éducative à partir du moment où nous nous révélons incapables de simplement manifester notre volonté de les voir appliquer le règlement intérieur, de les protéger d'eux-mêmes et des autres, c'est-à-dire de leur offrir une scolarité digne de ce nom ? Quel avenir leur préparons-nous ?

 

    J'aime mon métier par-dessus tout mais il ne m'est plus possible, dans ces conditions, de continuer de l'exercer et j'ai perdu tout espoir que cela ne change. C'est pourquoi, Monsieur le Proviseur, j'ai l'immense regret de vous présenter ma démission.

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commentaires

C
<br /> Voici ce que j'avais écrit après avoir vu La journée de la jupe et qu'Isabelle Adjani avait lu sur les antennes de France Inter :<br /> "J'en suis toute retournée d'avoir vu ce film. Quand Sonia, le professeur de français, ramasse un pistolet tombé du sac d'un élève et le braque sur celui-ci pour l'obliger à se rendre chez le<br /> principal, je me suis dit que j'aurais pu agir de même dans certaines circonstances. Et tout ce qui en découle, la prise d'otage, les discours qu'elle tient à ses élèves (leur refuge dans un statut<br /> de victimes qui les rend bourreaux, la place de la femme, de la religion), le besoin de faire venir la presse pour que les choses soient enfin dites. Combien de fois n'ai-je pas rêvé de faire un<br /> coup d'éclat uniquement pour pouvoir hurler à la face du monde : "Réveillez-vous ! Regardez ! Réagissez !"<br /> Et comme ils sont vrais le principal et les collègues qui l'accusent de chercher les emmerdes en s'obstinant à s'habiller en jupe, qui l'accusent d'islamophobie et de racisme, qui se vantent de<br /> savoir s'ouvrir, eux, aux élèves et qui ne font que raffermir une situation intolérable sous prétexte d'écoute et de tolérance. Lâcheté des bien pensants. Honte de l'École.<br /> Je me suis revécue entendant mes collègues défendre le port du voile au nom du respect des croyances et du confort de ces jeunes filles qui, ainsi, risquent moins d'être traitées de putes ou<br /> violées. Savez-vous combien sont nombreuses les jeunes filles qui subissent une opération chirurgicale avant de se marier pour cacher la perte de leur virginité ? Vous êtes en France,<br /> mesdemoiselles, pays de l'égalité des droits, mais protégez-vous, cachez-vous de ces coquelets en rut auxquels nous avons renoncé à transmettre les valeurs de la République.<br /> Il est terrible, ce film, parce que juste."<br /> Mais apparemment, il ne s'agirait que d'un fantasme. Quand on ne veut pas voir...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Dans la mesure où elle se réfère à l'article 11 de la Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, c'est dommage qu'elle présente sa démission en conclusion de<br /> celui-ci.<br /> Il aurait été plus productif peut-être (et engendrer un mouvement) de se référer à l’article 7 du Décret n°95-680 du 9 mai 1995 modifiant l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à<br /> l’hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique :<br /> « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable<br /> de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux. La faculté ouverte au présent article doit s’exercer de telle manière qu’elle ne puisse créer pour<br /> autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. L’autorité administrative ne peut demander à l’agent de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave<br /> et imminent ».<br /> <br /> Le vrai danger physique est sans doute relatif (quoique !) mais la santé physique et morale est évidemment en jeu (fatigue, dépression, "burn-out") et se sent dans le ton de la lettre.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Dire que j'ai lu que les situations d'enseignement dépeintes dans "La journée de la jupe" n'étaient qu'un fantasme. Je regrette moi aussi que l'EN se prive de telles personnes dont l'intelligence<br /> et le courage sont essentiels pour la formation de jeunes esprits, mais je doute que cette montagne de lâcheté se risque à une quelconque réaction. Sinon, oui, j'aimerais bien le savoir. Goya a dit<br /> "Le sommeil de la raison engendre des monstres". On y est...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> On peut rappeler que selon une enquête de la Société des Agrégés, confirmée par mles statistiques internes du Syndicat des Agrégés (SAGES), près de la moitié des professeurs agrégés, pourtant les<br /> plus favorisés en terme de carrière et de salaires dans l'Education Nationale, souhaiteraient démissionner. Mais, sans passer à l'acte de peur de l'inconnu. Et le Ministère sait tout cela et c'est<br /> aussi pourquoi la situation peut perdurer longtemps.<br /> <br /> On peut souhaiter une bonne reconversion à notre collègue. Et qu'elle n'ai pas peur, on peut toujours s'en sortir pour qui en a la volonté.Rien n'est pire que de rester dans un système dictatorial.<br /> Les Tunisiens on su faire ce ce les professeurs n'auront jamais le courage de faire. A terme, ils ne le regretteront pas eux.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Tous mes voeux de succès à Claire-Hélène dans sa nouvelle carrière. Contrairement à Françoise, dans le message précédent, je pense que la démission n'est pas toujours un geste de désespoir, mais<br /> qu'elle signale aussi quelquefois une fierté retrouvée. On n'est pas forcément "à bout" parce qu'on démissionne. Cela peut être un choix éclairé, celui de ne plus accepter l'inacceptable. D'après<br /> le ton de cette lettre, même sans la connaître, je pense que Claire-Hélène est dans ce second cas. Sa démission est une victoire, et non un échec.<br /> <br /> <br />
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