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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 09:21

 

 

 

 

  Madame Ordralphabétix1 est une collègue de lettres et amie douce, agréable et qui n'a pas l'habitude d'envoyer des poissons pas frais au visage de ses supérieurs hiérarchiques. Mais voilà, parfois, l'appel du poisson est le plus fort. Je vous laisse découvrir en sa compagnie un établissement scolaire très bien organisé : celui où elle a l'immense chance d'exercer ! Madame Ordralphabétix, c'est à vous !  

 

  « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. » Comment ça, je me trompe ? Ce n'est pas ce qui est inscrit sur la façade ? Ah, non, c'est vrai, c'est marqué « Collège Babaorum» (ou peu s'en faut). Un instant, j'ai failli oublier que c'est dans un établissement scolaire que je travaille, et pas dans une succursale de l'Enfer où l'on torture les pauvres gens qui s'y égarent à grand coup de pagaille sans nom. Mais aussi, cela fait maintenant si longtemps que perdure cet état de fait, qu'il finit par nous paraître presque naturel.

 

  En effet, depuis bientôt quatre ans que notre chef d'établissement actuel, Monsieur Abraracourcix, a pris ses fonctions dans notre petit collège de la campagne profonde, nous avons pris l'habitude d'être tutoyés (et rudoyés) par lui, d'accepter son humour pachidermique avec philosophie, puisqu'après tout, ce n'était jamais bien méchant, pensions-nous. Finalement, c'est comme ça, par petites touches, que nous nous sommes endormis sur nos lauriers (de César ?), et que nous n'avons pas réagi quand il a pris à parti sèchement Monsieur Panoramix, le professeur d'Histoire-Géographie, ou Madame Cétautomatix, professeur2 de technologie. De plus, finalement, le collège ne tournait pas si mal, au début. Et puis, nous qui n'étions pas encore victimes, ça nous amusait peut-être un peu aussi, soyons honnêtes, puisque tout ça, c'était « pour rire ».

 

  C'est l'année dernière que tout s'est dégradé subitement. Tout ça parce que ces « casse-couilles » (je cite, sinon, je ne me permettrais pas) de professeurs ont eu l'audace inconcevable de vouloir faire leur travail le mieux possible. Le caractère de notre bon principal, déjà grandement lunatique, est devenu franchement inacceptable par moments. C'est alors que nous sommes entrés dans la Maison qui rend Fou. C'est peut-être une expérience enrichissante, mais à ne faire qu'une fois dans sa vie !

  Mais aussi, les professeurs principaux des troisièmes, ces grands benêts, ont commis un crime de lèse-majesté : ils ont voulu s'occuper correctement de l'orientation de leurs élèves, ces mêmes élèves que nous suivons d'année en année dans notre petit établissement. Ils ont donc interrogé Monsieur Abraracourcix pour savoir si les demandes de dérogation, soumises par neuf garnements plutôt méritants, avaient bien été envoyées. Monsieur Abraracourcix a juré par Toutatis que tout avait été fait dans les règles de l'art. Hélas pour lui, le sort s'en est mêlé quand les parents des susdits garnements ont voulu aller inscrire leur progéniture dans les lycées convoités : nulle trace des demandes de dérogation ! Les parents et les professeurs principaux ont tenté, outrage suprême, d'obtenir une explication de la part de la direction, laquelle direction est sortie de ses gonds, à menacé violemment les enseignants, puis est parti se claquemurer dans son bureau. L'abus quotidien de lait de chèvre3 n'était peut-être pas tout à fait étranger à cette réaction excessive.

  Les enseignants, terrorisés, ou en colère, c'est selon, étaient auparavant en train de profiter du banquet final, puisque l'année scolaire s'achevait ce jour-là. Les joyeuses agapes se sont alors changées en cellule de crise : que faire face à ce débordement de trop ? Porter plainte ? En référer à l'Inspection Académique ? Non ! Nous n'avons pas voulu tirer sans sommation. Et puis, malgré ses nombreux défauts, Monsieur Abraracourcix a des qualités, même si le lait de chèvre a de plus en plus tendance à les gommer. Finalement, nous avons décidé de rédiger une lettre, courtoise mais ferme, pour lui signifier que nous n'étions plus prêts à accepter certains comportements, mais que nous étions prêts à travailler main dans la main avec lui si notre message était entendu.

 

  Nouvelle surprise quand sont tombés les résultats du brevet : deux loustics n'auraient jamais dû l'avoir, d'après leur notes à l'examen et leur moyennes au contrôle continu. De là à soupçonner que Monsieur Abraracourcix aurait gonflé artificiellement les moyennes pour permettre à certains d'obtenir leur diplôme et leur orientation, il n'y a qu'un pas...

  Le principal a donc finalement reçu ladite lettre quelques jours avant la rentrée (même si nous ne doutons pas qu'il en était informé bien avant) et le jour de la prérentrée nous a bien fait comprendre qu'il avait été blessé par nos remarques, mais qu'il comptait s'y soumettre sans rancune. Naïvement, nous avons alors pensé que nous avions trouvé la sortie de cette maudite maison de fous, malgré l'ambiance un peu tendue et les nouveaux quelques peu refroidis par cet accueil.

 

  Et vlan ! Arrivent les emplois du temps tout beaux tout chauds, c'est le cas de le dire, puisqu'ils ont été frais pondus la veille. Il est vrai que le fait que trois blocs de moyens provisoires4 n'aient pas été pourvus (en Lettres, et Histoire-géographie et en E.P.S.) a sans doute compliqué la donne, mais des plannings sont un tel tissus d'incohérences que nous en restons baba(orum) : certaines classes n'ont qu'une heure hebdomadaire d'anglais ou de maths, des enseignants à cheval sur plusieurs établissements se doivent d'avoir le don d'ubiquité puisqu'ils ont cours en même temps sur leurs deux collèges, d'autres professeurs hostiles aux heures supplémentaires, dont votre humble servante, se retrouvent avec des horaires délirants de vingt-et-une, vingt-deux voire vingt-trois heures de cours par semaines au lieu des dix-huit heures statutaires5, tandis que d'autres sont en sous-service. Monsieur Panoramix et moi-même avons même une classe de trop ! Bien entendu, nous étudions nos précieux papiers afin d'y traquer chaque erreur, ce qui n'est pas une mince affaire, puis nous nous dépêchons de remettre à Monsieur Abraracourcix notre chef le résultat de nos investigations dans l'espoir que, le lundi suivant, les emplois du temps auront été corrigés. En salle des professeurs, les casiers n'ont pas été étiquetés, aussi nous accaparons celui que nous voulons avant d'être chassés à midi pile du collège.

 

  Le lendemain6, c'est la rentrée. Nous autres professeurs principaux emmenons nos ouailles dans une salle pour leur communiquer... rien du tout ! Les emplois du temps qu'on nous a donnés sont ceux du collège voisin7, nous n'avons pas la liste des professeurs, et nous ne savons pas quand nous aurons ces informations. Trois heures pour étudier le règlement intérieur, présenter le collège, distribuer les manuels et faire remplir une fiche de présentation, c'est long. Très long. Trop long. A propos des manuels, justement, j'apprends que ceux qui devaient être changés ne l'ont pas été, mais qu'on a omis de m'en informer. Un quart d'heure avant la fin, on nous fait enfin passer les emplois du temps provisoires. Provisoires ? C'est un bien grand mot ! Nous avons dû nous en accommoder pendant deux semaines et demie. À l'usage, je me rends compte que je n'ai pas cours en même temps que mes élèves, lesquels vont en S.V.T. en même temps qu'en latin. Je n'ai fini par voir certains de mes mouflets que trois bonnes semaines après la rentrée ! En attendant, Monsieur Panoramix et moi prenons en cours une classe que nous savons ne pas devoir garder. Au bout de huit jours, nous décidons d'arrêter de le faire pour cesser de camoufler le problème.

 

  Certains élèves passent désormais plusieurs heures par jour en étude. Les parents commencent à protester. Pour les apaiser, le principal propose une réunion où les enseignants ne sont pas conviés. Mais dans l'assistance se trouve Madame Jolitorax, collègue d'anglais dont la fille à la chance d'être dans la classe à laquelle il manque trois enseignants. Elle assiste alors à une tentative désespérée de Monsieur Abraracourcix pour rejeter la faute sur le rectorat qui n'a nommé personne et sur les méchants profs qui ne veulent pas d'heures supplémentaires. Madame Jolitorax démonte un par un tous les arguments de la direction, et le chef repart penaud, la queue basse.

  Quand le Graal (pardon, je m'emporte) les nouveaux emplois du temps définitifs provisoires arrivent, les pauvres professeurs que nous sommes décident de se réunir un soir pour vérifier qu'ils sont conformes. Hélas, trois fois hélas, ils sont largement aussi ineptes que les précédents. De vingt-trois heures, je suis passée à quinze, mais le jeudi, mes élèves ne mangent pas puisqu'ils ont cours non stop de huit heures et demie à dix-sept heures. Monsieur Panoramix, lui, a toujours sa classe en trop. La liste des dysfonctionnements n'en finit plus, et aucune classe n'est épargnée. Un collègue de math, Monsieur Anglaigus, et moi décidons de la lui remettre le lendemain, en délégation, afin qu'il puisse y remédier au plus tôt. Quel bel optimisme ! Voilà deux semaines que nous fonctionnons avec ce ramassis d'âneries ! Le chef nous remercie malgré tout, nous assure que certaines aberrations ont été corrigées, et que deux des trois postes vacants devraient être pourvus. Il nous demande même si nous n'aurions personne à proposer pour le job...

 

  Pendant ce temps, chez les parents, la grogne enfle, et ils se décident à passer à des mesures plus radicales : l'occupation du collège est décrétée, et ils passent à l'acte, banderoles à l'appui. Le maire lui-même vient faire sa petite apparition publique, le secrétaire départemental d'une fédération de parents d'élèves vient en personne désavouer le mouvement8, ce qui n'entame en rien la détermination des occupants, qui se relaient pour squatter l'administration. Etant moi-même gréviste et fortement enrhumée ce jour-là, je ne vais pas au collège et rate une bonne partie des jeux du cirque. Toutefois, en fin d'après-midi, je fais un saut jusqu'au théâtre des opérations afin de vérifier si les emplois du temps nouveaux sont arrivés à maturité. Que nenni ! J'apprends de la bouche du chef que tous les postes vacants sont pourvus, sauf en français, car nous somme censés avoir les moyens suffisants. Si avoir les moyens signifie me coller cinq heures supplémentaires, je refuse tout net.

 

  Je suis alors apostrophée par les parents présents, qui ne comprennent pas tous les rouages mal huilés de notre bonne vieille Ed'Nat'9. Et c'est alors à moi que reviens la tâche de fournir les explications, de recalculer en direct les heures, de proposer des solutions aux parents pendant que Monsieur Abraracourcix ne dit mot et se terre derrière sa secrétaire, trop heureux de ne pas être au centre des débats. Un tel morceau de lâcheté est un spectacle assez rare ! J'aurais ragé de le manquer ! Quand je pense que cet homme prétend m'estimer et me laisse me dépatouiller tout seule et malade alors que ce sont des sujets qui relèvent de sa responsabilité, je n'ose imaginer ce qu'il ferait pour quelqu'un qu'il n'apprécie pas !

 

  Quand le principal sort soudain de son chapeau qu'une des collègues de lettres est en sous service, ce qu'il s'était bien gardé de dire plus tôt pour « avoir une dernière carte à sortir » (je cite), de terribles envies de meurtre me viennent à l'esprit, mais je préfère ne pas y laisser prise car les témoins sont nombreux. Après moultes cogitations, j'en viens à l'unique conclusion possible : il faut redistribuer les classes différemment. Depuis le début, il avait les heures et les professeurs, mais il n'avait pas été capable de faire une répartition correcte ! Le lendemain matin, c'est moi qui m'y colle. Les parents sont satisfaits car leurs enfants auront des enseignants. Ce dont ils ne se doutent pas, c'est que puisqu'il va falloir intégralement refaire les emplois du temps et que comme il avait fallu trois semaines pour arriver à des plannings totalement stupides, ce n'est pas demain la veille que nous pourrons travailler correctement !

  Pour finir, il est plus que probable que toute cette affaire ne reste pas sans suites, mais à l'heure actuelle, il est encore difficile de les envisager clairement. Un léger brouillard dû au lait de chèvre, sans doute... Mais au fait, où est la sortie ?

 

 

 


1. Une compétence au choix validée à qui me donnera le nom « officiel » de madame Ordralphabétix sans avoir cherché dans un album d'Astérix ni sur Internet ! 

 

2. En bonne prof de français, Mme Ordralphabétix ne féminise pas le mot « professeur ». Grâce lui en soit rendue (ND Celeborn)

 

3. L'abus de lait de chèvre est dangereux pour la santé : à consommer avec modération. Une animation citoyenne et ludique se tiendra d'ailleurs sur le sujet pendant les cours de français. L'étude d'Alcools d'Apollinaire sera par ailleurs prohibée. Non mais ! (ND Celeborn)  

 

4. Les fameux BMP. Un BMP est un ensemble d'heures non attribuées à l'un des enseignants en poste fixe sur l'établissement, soit parce qu'il n'y a pas assez d'heures pour en faire un poste, soit parce qu'il y en a tout juste assez et que ce post ne serait pas pérenne. L'organisation de l'Éduc'Nat étant ce qu'elle est (un vaste foutoir, et je reste poli), et les suppressions de postes étant ce qu'elles sont (là, j'aurais bien envie de ne pas rester poli), on croise de + en + de BMP non attribués encore le jour de la rentrée. Parents, si vos enfants n'ont pas de prof de maths, de musique ou de techno (voire les trois à la fois) pendant une semaine deux semaines un mois, c'est qu'il s'agit d'un BMP sur lequel on cherche désespérément à mettre un TZR (mais on n'en a souvent plus en stocks, cf. les suppressions de postes dénoncées un peu plus haut), un contractuel ou un vacataire (les deux derniers sont des gens qui n'ont pas le concours, mais qui ont normalement fait des études poussées dans la discipline. Ou dans une discipline pas trop éloignée. Ou presque. Ou pas vraiment mais un peu quand même. Au demeurant, certains peuvent être très compétents, heureusement !). (ND Celeborn… comme toutes les autres, en fait, alors je vais arrêter de le répéter à chaque fois !)

 

5. Rappelons que pour préserver notre santé mentale déjà fort attaquée, seule 1 heure supplémentaire année (HSA) peut nous être imposée. Pour les autres, il faut notre consentement (parfois) éclairé. 


6. … elle était souriante (référence old fashion délicieuse que vous pouvez partager en cliquant ici)


7. Ah oui ! Quand même ! 

 

8. Sans doute le cousin de Tullius Détritus.

 

9. Difficile de leur en vouloir, d'ailleurs. 

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commentaires

C
<br /> Chère Karine, il faut surtout féliciter madame Ordralphabétix ! Elle raconte ça vraiment très bien !<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Bonjour,<br /> Tant que j'y suis : bravo aussi pour cet article. J'adore cet extrait d'AStérix. On se croirait au rectorat .<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Bravo John !<br /> Quelle compétence je te valide, alors ? ^^<br /> <br /> <br />
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J
<br /> C'est Iélosubmarine, la femme d'Ordralphabétix !<br /> <br /> C'est Iélosubmarine !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Je pense qu'il n'y a plus qu'à vous souhaiter une excellente année, Mme Ordralphabétix...<br /> <br /> <br />
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