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17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 16:50

  Pour changer, voici un texte récent, dont je suis plutôt content. Bonnes vacances à tous ceux qui sont en vacances !


Devant la mer




   La vague approche. Provoquée par quelque secousse sous-marine née de la ligne d'horizon, la vague approche. Tous la voient, d'abord presque rien, un léger mouvement, une minuscule ondulation douce comme le froissement d'une robe de soie grise portée par une jeune fille qui s'avance dans la salle de bal, et c'est son premier bal, la jeune fille est timide, elle rougit comme toutes les jeunes filles timides à leur premier bal, mais quelqu'un va bien la prendre par la main et l'inviter à danser, cette jeune fille, une petite brune plutôt jolie, et même si le gris ne la met pas forcément en valeur, elle n'en demeure pas moins une belle jeune fille que l'on a envie de faire danser et tourbilloner d'une valse lente d'abord, puis de plus en plus vive, enlevée, sa robe qui se gonfle, des plis qui se forment... la vague approche. Tous l'ont vue, et tous hurlent et font n'importe quoi. Une mère fuit, oubliant son enfant, là, un enfant qui sait à peine marcher, qui tangue, qui ondule lui aussi et qui finit par tomber. On ne peut pas lui donner vraiment tort, à cette mère, quelque part. Des enfant, elle peut en refaire, alors qu'une mère, ça ne se remplace pas. Peut-être l'idée lui a-t-elle traversé l'esprit, l'idée que pour sauver la mère, il fallait abandonner le fils ; l'idée qu'une bonne mère doit abandonner son enfant quand il faut survivre, car la survie des mères, c'est essentiel, c'est vital, et cette idée peut-être tourne et tourne dans sa tête, et quand on porte une idée aussi lourde, peut-on encore avoir assez d'énergie pour porter son enfant, pour le traîner derrière soi, pense-t-on encore à son enfant quand on pense à la vie ? En tous les cas, la mère est partie et la vague approche.




   C'est une très belle vague, une vague mythique, qu'on croirait poussée par un dieu marin et dans laquelle doivent nager les monstres anciens dotés de cent yeux, de mille dents et de dix mille nageoires. Une vague porteuse d'antiques sirènes, une vague qui chante une complainte née il y a si longtemps, du temps où les nymphes peuplaient le monde, du temps où l'homme n'était pas même un projet. La vague approche, mélodieuse, une vague pour laquelle des dizaines de poètes sauraient se désespérer, une vague à sonnet, une vague à rondeau, à haïku. C'est une vague semblable à celle-ci qui a dû échouer Ulysse chez les Phéaciens, c'est cette même vague qu'Hokusaï a peinte à une autre époque et dans un autre lieu, c'est sur cette vague que brinquebalait Le Bateau ivre.




   La vague approche et une femme la regarde. Tous sont partis mais pas elle. Elle n'est plus jeune mais pas vieille encore, ni vraiment laide, ni vraiment jolie, ni mère ni amante, ni sainte ni putain. Elle n'a pas l'allure d'une femme qui contemplerait une vague titanesque approcher, pas le profil romantique, pas l'âme d'une future suicidée, rien d'une Ophélie, rien vraiment. Pourtant elle est touchante ; elle est touchante car elle est volontaire. Elle a ses deux jambes bien droites, ses deux yeux bien fixes, sa bouche bien tenue. Elle a son corps qu'elle maîtrise ; elle a jusqu'à ses vêtements qui paraissent aussi déterminés qu'elle et non flottants au vent comme les vêtements vaporeux de la muse éthérée qu'on attendait en lieu et place de cette solide terrienne. La vague approche et elle n'a pas peur. Elle paraît la juger, elle paraît vouloir rendre un jugement, elle paraît forte, plus forte que la vague, plus forte que le plus terrible des cataclysmes qu'un dieu injuste et violent pourrait nous envoyer dans un instant de déraison sadique. Elle paraît forte car elle paraît avoir la justice avec elle ; elle paraît capable non de vaincre, mais de condamner. La vague approche et soudain je la reconnais : c'est Athéna, c'est elle, la sage et la guerrière, la vierge qui ne séduit pas, la calme, la glorieuse, la victorieuse, la protectrice, celle qui peut tuer ou guérir, celle qui peut nous apporter la vie et nous montrer la mort en face, celle qui regarde les vagues avec le regard de ceux qui ne mourront jamais.




   La vague approche et Athéna se décide. Il faut savoir si la ville mérite d'être sauvée. Il fallait savoir si ces hommes, ces femmes, si cet enfant qui se traîne lamentablement en pleurs, à quatre pattes, cet enfant abandonné par sa mère, cet enfant qui n'en finit pas d'essayer de quitter la scène sans y parvenir jamais, il faudrait savoir si ce peuple est coupable. Il faudra bien se décider : invoquer la fatalité ou créer le miracle. Maudire ou sauver. Mais pas aimer, non, ça, jamais, jamais d'amour chez Athéna. Athéna n'aime pas les hommes : elle ne sait que les juger avec ses lois à elle, qu'elle transgresse quand elle le veut, selon son humeur. Mais l'humeur d'Athéna est fiable ; elle a la froideur et la rudesse des dieux qui réfléchissent. On peut savoir quand elle dira oui et quand elle dira non ; on peut savoir si l'on a ou non mérité d'être englouti. Et si tous les hommes ont fui, c'est qu'ils savent.




   La vague approche et la décision est prise. Athéna sourit, regarde l'enfant, sourit davantage encore et disparaît.



   La vague se brise sur le rivage.


 



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commentaires

N
<br /> Joli texte...dommage pour les erreurs d'orthographes !!!<br /> <br /> <br />
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C
Je vous souhaite la bienvenue, Roussote !
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R
Troublant ....<br /> Allez ,hop ,en marque-pages ,le blog de Celeborn !Voilà un lundi de pêcheuse de perles , de coureuse de trésors , ravie .
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M
....Ou au fait qu'il dissuade d'écrire ?
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J
A quoi juge ton un bon texte, peut être au fait qu'il donne envie d'écrire?
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